Le 7 décembre 2024, à quelques heures de la chute fulgurante de Bachar el-Assad, Donald Trump s’emballe sur son compte X : « La Syrie est un désastre, mais elle n’est pas notre amie. Les États-Unis ne devraient rien avoir à faire avec ce pays. » Ce jour-là , la sortie du président américain n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd : à Ankara comme à Tel-Aviv, elle résonne comme un « feu vert » inespéré au cœur d’une région en pleine reconfiguration. Pour la Turquie, alliée des nouveaux maîtres de Damas, la voie est désormais libre pour amorcer une coopération militaire après le vide laissé par les deux ex-parrains du dictateur déchu, l’Iran et la Russie. Pour Israël, il s’agit, a contrario, de bombarder des sites de l’armée et d’occuper une partie du territoire syrien, afin de maintenir son voisin en position de faiblesse. « La Syrie que souhaite Israël est une Syrie qui ne peut pas répondre militairement », observe le journaliste et analyste turc Fehim Tastekin.
Les deux pays étaient déjà en froid depuis le début de la guerre à Gaza. Les opérations militaires israéliennes en riposte aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023 avaient suscité la colère du président Erdogan : rappel du personnel diplomatique, suspension des relations commerciales, multiplication des attaques verbales contre Benyamin Netanyahou. Mais la chute de Bachar el-Assad a ouvert un front direct entre Tel-Aviv et Ankara. « Pour la première fois, la tension suscitée par la campagne israélienne à Gaza commence à se refléter sur l’arène militaro-politique syrienne », observe le chercheur Murat Yesiltas, dans une tribune publiée sur le site du think-tank progouvernemental turc Seta.
La Turquie, qui disposait déjà de troupes dans la province d’Idlib, alors sous contrôle des rebelles islamistes dirigés par Ahmed al-Charaa, l’actuel président intérimaire, entend profiter de ses bonnes relations avec les nouvelles autorités syriennes pour étendre son influence. Dès le mois de décembre, Damas et Ankara commencent à négocier un accord de défense stratégique, garantissant une protection aérienne et un soutien militaire. « La Turquie a procédé à des livraisons d’envergure sur la base aérienne militaire de Menagh, au sud d’Azaz. Des préparations sont également en cours pour que l’armée de l’air turque s’établisse sur les bases T4 et de Palmyre. La Turquie aurait également dépêché des troupes et du matériel sur l’aéroport militaire de Menagh, où elle serait en train de construire une infrastructure militaire en coordination avec la nouvelle administration syrienne », relève Murat Yesiltas.
Donald Trump médiateur
De quoi déclencher l’ire de Benyamin Netanyahou. Dès la chute du président el-Assad, le 8 décembre 2024, l’armée israélienne a lancé une série de frappes visant l’arsenal militaire de l’ancien régime et mené des incursions dans le Sud syrien pour éloigner les forces syriennes de sa frontière nord. Il y a trois semaines, l’État hébreu a renforcé son offensive en lançant une opération ciblée contre plusieurs bases, dont celles de Palmyre et T4, dont l’objectif de saper l’influence turque.
Cette confrontation sans précédent pourrait-elle conduire à l’escalade ? Alors que la tension va crescendo, la Turquie et Israël ont amorcé mercredi dernier des discussions en Azerbaïdjan. « Une délégation diplomatique, dirigée par le directeur du Conseil de sécurité nationale Tzachi Hanegbi a rencontré une délégation turque », ont indiqué les services de Netanyahou. Le soir même, le chef de la diplomatie turque, Hakan Fidan, affirmait la nécessité d’un « mécanisme de déconfliction », en rappelant que les deux pays « font voler des avions » en Syrie.
Coïncidence du calendrier : le sujet s’est retrouvé au cœur de la visite d’Ahmed al-Charaa, ce week-end, au forum diplomatique de la cité balnéaire turque d’Antalya. À l’occasion de sa deuxième visite en Turquie depuis la chute de Bachar, le président intérimaire syrien a tenu à souligner « l’importance du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République arabe syrienne ». Ironie du sort : après avoir indirectement déclenché ce bras de fer sur le théâtre syrien, c’est Donald Trump qui aurait, dès lundi dernier, impulsé cette désescalade. Alors qu’il recevait Netanyahou dans le Bureau ovale, il s’est présenté comme possible médiateur entre la Turquie et Israël. Mais à sa façon : après avoir appelé le premier ministre israélien à être « raisonnable », il a « félicité » Erdogan, un « homme que j’aime bien », un « dur à cuire », pour « avoir pris le contrôle de la Syrie ».