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Courrier International, le 15/10/2020
Les journaux progouvernementaux turcs applaudissent la politique étrangère belliqueuse du président Erdogan et s’en prennent à la France, ainsi qu’à de nombreux pays.
Le temps de la posture défensive est terminé”, résume en une formule le rédacteur en chef du quotidien islamo-nationaliste Yeni Safak. “C’est vrai pour la Turquie comme pour l’Azerbaïdjan [qui, avec le soutien de la Turquie, est en guerre contre son voisin arménien]. Si la Turquie était restée en position défensive elle aurait été encerclée de la Syrie à l’Irak et de la Méditerranée orientale à la mer Égée […]. Il ne s’agit pas d’un simple conflit frontalier entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, ce n’est que le volet d’un vaste projet visant à stopper la Turquie. Mais le vent de l’histoire est en
train de tourner. Et nous envoyons un message simple au monde : s’il le faut, nous sommes prêts à tout.” La Turquie s’est impliquée militairement sur de multiples fronts dans la région et au-delà
jusqu’en Libye (voir p. 53). La militarisation de sa politique étrangère est légitimée par la presse progouvernementale, qui dépeint un pays attaqué de toutes parts et entouré d’ennemis. “Les
Serbes, les Bulgares, les Grecs, les Arméniens… c’est comme si Dieu leur avait enlevé leur cœur. Ils ont tout vendu au diable”, assène un éditorialiste du quotidien islamiste Yeni Akit, avant de poursuivre : “Nous n’avons pas en face de nous que les Grecs et les Arméniens, mais aussi ceux qui sont derrière eux, les Français, les Russes, les Anglais et les Américains. La Turquie est le seul
pays capable de les arrêter, par la force de notre foi et de nos prières.”
“NOUS N’AVONS PAS EN FACE DE NOUS QUE LES GRECS ET LES ARMÉNIENS, MAIS AUSSI LES FRANÇAIS, LES RUSSES, LES ANGLAIS ET LES AMÉRICAINS.”
Un éditorialiste du quotidien Yeni Akit
La démonstration de force et le recours à l’action militaire sont considérés comme un moyen légitime de faire valoir les intérêts du pays, comme le souligne le quotidien nationaliste Sabah : “Alors
qu’au cours des semaines précédentes nous avons forcé toutes les puissances occidentales, y compris la France, à nous réserver une place à la table des négociations concernant la Méditerranée orientale, nous nous imposons cette semaine en soutenant l’armée azérie. Une attaque défensive planifiée au meilleur moment, alors que l’Amérique est concentrée sur ses élections et que la Russie veut faire comprendre au Premier ministre arménien Pachinian, qui penche un peu trop en direction de l’Occident, qu’il n’est rien sans le soutien de Moscou.” Les diatribes de la presse turque progouvernementale visent particulièrement la France, qui s’oppose à Ankara sur de nombreux dossiers : “Le bon à rien Macron a encore dépassé les bornes. Ce petit homme qui ne tolère
pas que la Turquie intervienne en Libye à l’appel du gouvernement légitime et qu’elle affirme sa présence en Méditerranée tente de nuire à la réputation de la Turquie sur la scène internationale en
prétendant qu’elle aurait envoyé des mercenaires ‘islamistes’ [syriens] combattre en Azerbaïdjan”, s’indigne Yeni Safak en réponse aux accusations du président français.
Alors que les journaux de l’opposition laïque et nationaliste se réjouissent aussi du conflit, seule la presse d’opposition de gauche échappe aux rodomontades guerrières, comme le quotidien Birgün : “Que se passe-t-il, d’où sortent ces tambours de guerre qui résonnent aux quatre coins du pays ? Depuis l’effondrement de l’Empire ottoman et la création de la République, nous avions
échappé à la guerre, nous avons même réussi à demeurer à l’écart de la grande guerre d’Hitler qui tua des millions de gens, que nous arrive-til maintenant ? Le bruit des avions et le son de
l’artillerie nous parviennent de Syrie, de Libye, d’Azerbaïdjan. Écoutez Nazim [Hikmet, célèbre poète turc 1901-1963], lisez Brecht, si le bruit de la paix n’étouffe pas le vacarme de la guerre celleci finira par venir taper à la porte.”
Courrier international
Vu de Pologne
UNE POLITIQUE LÉGITIME
“Nous avons aujourd’hui deux images de la Turquie”, soutient l’hebdomadaire catholique libéral polonais Tygodnik Powszechny dans un article inhabituellement admiratif du régime de Recep Tayyip Erdogan. Alors que les médias occidentaux retiendraient surtout les “tendances autoritaires croissantes” du chef de l’État, de nombreux Turcs seraient plus sensibles à la “modernisation”
du pays et à sa “démocratisation par la liquidation du rôle dominant de l’armée”. L’évolution du voisinage, “de l’UE à la Russie en passant par l’Iran et le Proche Orient”, ferait de la politique actuelle de la Turquie “la seule [politique] possible et légitime”, mais elle “condamne [le pays] à la confrontation avec l’Occident, parce qu’elle remet en cause son système de contrôle, perçu comme anachronique”.
Elle n’en est pas moins “efficace”, selon l’auteur.
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