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RFI, le 13/03/2024
De notre correspondante à Istanbul, Anne Andlauer
À la fin du mois, le 31 mars, les Turcs iront élire leurs maires et conseillers municipaux. Des élections locales à l’enjeu national, puisque le président Recep Tayyip Erdoğan, réélu en 2023, veut reconquérir les grandes villes, en particulier Istanbul et la capitale Ankara, contrôlées par l’opposition.
Des personnes marchent sous les affiches électorales du président turc Recep Tayyip Erdogan, du candidat à la mairie d’Istanbul du parti AKP (au pouvoir) Murat Kurum et des drapeaux du parti à Istanbul, 20 février 2024. © Umit Bektas / Reuters
Même porté par sa victoire à la présidentielle et aux législatives de mai 2023, il semble que le président Recep Tayyip Erdoğan aura du mal à récupérer la mairie d’Ankara, si l’on se fie aux sondages réalisés jusqu’ici. Comme Istanbul, la capitale avait basculé du côté de l’opposition aux municipales de 2019.
En revanche, une victoire à Istanbul paraît à sa portée : cela serait moins dû aux « performances » de son candidat Murat Kurum, un bureaucrate auquel il manque une bonne dose d’éloquence et de charisme, qu’à l’état de l’opposition.
Le maire sortant d’Istanbul Ekrem Imamoglu, candidat à un second mandat, avait été élu grâce à une large alliance d’opposition. Mais cette alliance a éclaté après la défaite au scrutin de l’an dernier, et Ekrem Imamoglu n’a plus que son parti – le CHP, principal parti d’opposition – pour le soutenir. Des pro-kurdes aux ultranationalistes, toutes les autres composantes de l’opposition présentent leur propre candidat. C’est la principale chance de Tayyip Erdoğan, qui s’implique pleinement dans la campagne et devrait concentrer ses meetings des dernières semaines sur Istanbul.
Erdoğan mélange promesses et menaces de coupes aux aides pour les sinistrés
La stratégie du président turc est, pour l’instant, un mélange de promesses et de menaces. Le président et son parti AKP tentent de discréditer les maires d’opposition, en dépeignant des villes mal gérées, en décrivant les cinq dernières années comme une parenthèse malheureuse et en promettant des moyens immenses – ceux des mairies et de l’État – pour régler les problèmes des villes.
À plusieurs reprises, Recep Tayyip Erdoğan a même eu recours à une forme de chantage : à Istanbul, il a déclaré que le maire actuel n’avait pas les « moyens » de développer de grands projets car « c’est nous qui dirigeons le pays ». À Ordu, sur la mer Noire, il a lancé aux électeurs : « Avec nous, les villes ont du gaz naturel. Sans nous, il n’y en a pas. »
Encore plus marquant, à Hatay, la ville la plus touchée par le séisme meurtrier dans le sud du pays en 2023, le président a laissé entendre que si une mairie n’était pas du même bord politique que le gouvernement, aucune aide ne pouvait lui parvenir.
Dernier élément de la stratégie du président : jouer sur le lien affectif avec ses électeurs déçus – notamment par la crise économique – pour les convaincre de le soutenir encore une fois. C’est sans doute pour cela qu’il a affirmé la semaine dernière que ce scrutin serait son dernier.
L’opposition divisée compte sur le vote utile
L’opposition aborde ces élections avec un peu de fébrilité, notamment à Istanbul. Ekrem Imamoglu compte sur son bilan pour être réélu et consacre ses discours aux projets déjà accomplis. Il présente également son principal rival comme un « débutant » inexpérimenté.
Le maire sortant sait que la rupture de l’alliance d’opposition joue en sa défaveur. Mais il compte sur ce qu’il appelle « l’alliance des électeurs ». En clair : sur le fait qu’une part suffisante des électeurs des autres partis d’opposition, notamment du parti pro-kurde, choisiront de voter non pas pour le candidat de leur parti, mais pour Ekrem Imamoglu par pure stratégie, pour infliger une nouvelle défaite au président Erdoğan à Istanbul.
Tenir tête à Erdoğan jusqu’à la présidentielle de 2028
Les enjeux du scrutin du 31 sont aussi grands pour l’opposition que pour le camp présidentiel. Il s’agit d’abord de rattraper un peu la défaite cuisante de l’an dernier, pour que leurs électeurs gardent espoir dans le processus électoral et restent mobilisés jusqu’à la présidentielle de 2028.
Pour les maires d’opposition, à Ankara mais surtout à Istanbul, une nouvelle victoire serait la promesse d’un destin national dans la perspective de la prochaine présidentielle, à laquelle Recep Tayyip Erdoğan n’est pas censé participer.
Enfin, dans un pays soumis à un régime à ce point centralisé et personnalisé, ces mairies d’opposition incarnent une forme de contre-pouvoir, qui empêche le président turc et son parti d’accaparer la totalité des ressources financières et politiques du pays. C’est aussi pour cela, au-delà du symbole, que Recep Tayyip Erdoğan veut absolument récupérer la mairie d’Istanbul.
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