Comme trop souvent, tout a commencé par des descentes à l’aube. Le 13 juin, la police a perquisitionné les domiciles de journalistes dans plusieurs villes. Dicle, Yavuz Akengin, Eylem Yılmaz et Ozan Cırık ont été arrêtés, ainsi que Semra Pelek et la traductrice Melisa Efe.
Tous ont été transférés à Artvin, province reculée de la mer Noire — à plus de 1 200 km d’Istanbul, et plus de 1 600 km pour Dicle, qui vivait à Bodrum.
Leur « crime » ? Avoir reçu des paiements pour des articles via un site internet lié, selon les autorités, à ce qu’elles appellent « FETÖ » — le mouvement Gülen, accusé du coup d’État manqué de 2016.
« Rien ne les relie à une activité terroriste », affirme leur avocat Hakan Özkan. « Ils ont exercé un travail journalistique et été rémunérés. Leur incarcération viole à la fois les droits du travail et la liberté d’expression. »
Quatre jours plus tard, Baştürk, Akengin, Yılmaz et Cırık ont été officiellement arrêtés. La répression continue : le 26 juin, le journaliste Kurde Metin Yoksu a été détenu après s’être rendu volontairement à Batman pour témoigner dans la même affaire. Lui aussi est accusé « d’appartenance à une organisation terroriste ».
« Avant c’était mauvais, mais maintenant la persécution est multidimensionnelle », déclare Sevda Erkılınç, journaliste elle-même emprisonnée auparavant. « Traduire pour un média étranger suffit à être arrêté. » (Melisa Efe a aussi travaillé en freelance pour la Frankfurter Allgemeine Zeitung.)
Dans une déclaration commune récente, 19 ONG de défense des droits humains ont réclamé la libération des cinq journalistes incarcérés en attendant leur procès dans l’enquête menée à Artvin. L’efficacité de cet appel semble perdue dans la frénésie de la chasse aux sorcières.
Le 21 juin, le célèbre YouTubeur Fatih Altaylı a été arrêté à son domicile et incarcéré — quelques jours après un « avertissement public » d’un conseiller d’Erdoğan. Il attend son procès en détention. Son « crime » présumé ? Avoir évoqué d’anciens attentats contre des sultans ottomans — interprétés, de façon absurde, comme une menace contre Erdoğan.
Pendant ce temps, le Conseil supérieur de la radio et de la télévision (RTÜK) poursuit sa répression. Il a infligé une interdiction de diffusion de dix jours à la chaîne d’opposition Halk TV après qu’un universitaire a critiqué la politique étrangère turque, supposément pour attiser la « division sectaire ». Le propriétaire de la chaîne, Mahir Caferoğlu — déjà sous le coup d’un mandat d’arrêt — s’est exilé en Angleterre.
La censure frappe désormais l’image et le son. Netflix a été condamné à une amende équivalente à 5 % de son chiffre d’affaires en Turquie pour avoir, selon les autorités, « glorifié la violence » dans le film Barda (« Au bar »). Spotify a dû retirer des chansons au « langage inapproprié » jugé contraire aux « valeurs nationales et morales ». (J’ai cherché, sans trouver la liste.) Les podcasts critiques envers le gouvernement pourraient bientôt être visés.
La plateforme indépendante Expression Interrupted rapporte que 157 journalistes ont été jugés dans 90 affaires distinctes rien que durant les trois premiers mois de cette année. Vingt-cinq restent emprisonnés, cinquante ont été interrogés. (Le nombre est désormais plus élevé.)
Les accusations les plus fréquentes ? « Appartenance à une organisation terroriste » et « diffusion de propagande ».
Le cas de Dicle et de ses collègues révèle une autre dimension : l’étouffement progressif des conditions de vie des journalistes. Presque tous les journalistes indépendants en Turquie sont désormais « condamnés à la famine ».
Les plateformes en ligne ferment, les chaînes télé peinent à survivre.
Le message est clair : travailler pour ces médias, c’est risquer l’arrestation.
Pratiquer le journalisme est devenu un parcours semé d’embûches… et de mines.