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France 24, le 08/06/2023
Texte par Grégoire SAUVAGE
Exclue en 2015 de son parti en Belgique pour avoir refusé de reconnaître le génocide arménien, la Belgo-Turque Mahinur Ozdemir a su rebondir dans son pays d’origine en devenant ministre de la Famille et des Affaires sociales et la seule femme nommée au sein du nouveau gouvernement turc. Retour sur le parcours mouvementé de cette proche de Recep Tayyip Erdogan et ancienne figure controversée de la politique belge.
L’équipe du nouveau gouvernement d’Erdogan pose devant le mausolée érigé en l’honneur de Mustafa Kemal Atatürk, le premier président de la république de Turquie, à Ankara, le 6 juin 2023. © Adem Altan, AFP
Lors de la prestation de serment de Recep Tayyip Erdogan, samedi 3 juin, Mahinur Ozdemir Goktas ne passe pas inaperçue. Au milieu de 16 hommes et du président fraîchement réélu, elle est l’unique femme à apparaître sur la photographie officielle du nouveau gouvernement.
À 40 ans, elle hérite du portefeuille de la Famille et des Affaires sociales. Une consécration pour l’ancienne ambassadrice d’Ankara en Algérie, sa première mission pour la Turquie.
Car avant cela, c’est en Belgique, dans la vie associative et politique, qu’elle s’engage à l’aube des années 2000. Née dans une famille de petits commerçants de Schaerbeek, commune multiculturelle de Bruxelles, la jeune femme obtient un diplôme en administration publique avant d’être repérée en 2005 par des cadres du Centre démocrate humaniste (CDH).
Élue conseillère municipale à seulement 23 ans, elle devient la protégée de Joëlle Milquet, la présidente de cette formation centriste qui voit en elle une pionnière et un futur talent de la politique bruxelloise. Mais au sein de la formation politique, le voile islamique arboré par Mahinur Ozdemir divise.
« Il y avait alors une forme de paradoxe pour ce parti centriste d’inspiration chrétienne de présenter une candidate qui revendiquait le port du voile », décrypte Benjamin Biard du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp) qui rappelle la part de calcul électoral qui prévalait à cette époque. « À Bruxelles, on sait que les personnes de confession musulmane votent de manière importante pour la gauche et à un moment donné, il y a eu une volonté d’autres formations politiques d’attirer ces nouvelles voix », ajoute le politologue belge.
Signe du malaise qui règne au sein du CDH sur « le cas Ozdemir », le voile de la jeune femme « disparaît » mystérieusement des affiches de campagne pour les élections régionales. Joëlle Milquet plaidera, sans convaincre, l’erreur regrettable d’un graphiste.
Le voile de la discorde
Sa carrière connaît un tournant en 2009 lorsqu’elle est propulsée sur le devant de l’actualité. À 27 ans, la fille d’épicier immigré devient la plus jeune élue du Parlement de Bruxelles, mais surtout la première parlementaire voilée en Europe. Des équipes de la télévision turque et même d’Al-Jazira font le déplacement pour couvrir l’événement.
Sa présence au sein de l’Assemblée élue déclenche un vif débat sur la laïcité en Belgique. Un député libéral propose d’interdire le port de signes religieux dans les parlements fédéraux et régionaux. Du côté du CDH, on feint de s’étonner de la médiatisation de cette grande première.
« Autant en 2006, quand j’ai prêté serment au conseil communal, je n’avais eu aucune réaction négative, j’ai vraiment prêté serment de manière sereine. Autant en 2009, je n’avais pas compris l’excitation qui avait débordé le cadre national », se souviendra un an plus tard Mahinur Ozdemir dans un entretien accordé au journal La Libre.
Inlassablement interrogée sur ce foulard qu’elle assure porter par choix depuis ses 14 ans, la Belgo-Turque s’agace d’être désignée comme « la député voilée » préférant évoquer les sujets qui lui tiennent à cœur comme les discriminations à l’embauche, l’aide aux familles monoparentales ou encore les violences faites aux femmes.
Erdogan invité à son mariage
Si Mahinur Ozdemir poursuit une carrière politique en Belgique, elle continue toutefois à entretenir des liens étroits avec le pays dont ses grands-parents ont émigré il y a un demi-siècle.
En juillet 2010, elle épouse l’avocat Rahmi Goktas, attaché parlementaire d’une députée turque de l’AKP, le parti islamo-conservateur fondé par Recep Tayyip Erdogan. Celui qui n’est alors que Premier ministre, mais déjà considéré comme l’homme le plus puissant du pays, est invité au mariage en Turquie. Plusieurs personnalités du MHP, un parti nationaliste d’extrême droite, figurent également sur la liste des invités.
En Belgique, la droite se déchaîne contre la jeune femme, qualifiée de « cheval de Troie » de l’islam politique en Europe. On lui prête également une proximité avec l’idéologie violemment nationaliste des Loups gris, un mouvement turc xénophobe ayant des ramifications en Europe, car son père a été administrateur de l’Association culturelle turque, la branche locale de l’organisation à Schaerbeek.
« Cela ne concerne pas uniquement Mahinur Özdemir. D’autres affaires révélant des liens entre les Loups Gris et des responsables fédéraux ont éclaté ces dernières années au sein d’autres formations politiques en Belgique », précise Benjamin Biard qui évoque le cas d’Emir Kir, exclu du parti socialiste en 2020 pour ce motif.
De son côté, Mahinur Ozdemir refuse d’être tenue pour responsable des accointances politiques passées de son père et dénonce un acharnement à son encontre.
Une nomination qui fait réagir en Belgique
Cependant, les fractures entre le CDH et la Belgo-Turque se font de plus en plus béantes. En 2015, elle refuse de reconnaître officiellement le génocide arménien. Le successeur de Joëlle Milquet à la tête du parti, Benoît Lutgen, annonce alors l’exclusion de la députée, une décision vivement critiquée par l’AKP.
Inscrite en tant qu’élue indépendante, Mahinur Ozdemir poursuivra ensuite ses mandats régional et communal en Belgique, jusqu’à ce que Recep Tayyip Erdogan ne mette fin à cette traversée du désert en la nommant d’abord en 2020 ambassadrice en Algérie, et à présent ministre de son nouveau gouvernement.
« C’est une personnalité qui a longtemps fait débat en Belgique et cette nomination fait évidemment beaucoup parler », affirme Benjamin Biard.
À droite, certains responsables politiques belges, comme le social-libéral François De Smet, voient dans cette trajectoire atypique « les excès d’un certain communautarisme », tandis que le parti flamand Identité et Démocratie a de nouveau appelé à la fin de la double nationalité pour les représentants politiques, dénonçant « un conflit d’intérêts ».
De son côté, Mahinur Ozdemir Goktas semble aujourd’hui bien loin de ces polémiques et totalement investie dans ses fonctions ministérielles à Ankara, martelant sans relâche les éléments de langage du discours présidentiel promettant « une nouvelle ère » et « un nouveau siècle de la Turquie ».
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