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RFI, le 08/06/2023
Par Dominique Baillard
La livre turque s’effondre. En quelques jours, elle a perdu 10% de sa valeur face au dollar et, contre toute attente, c’est plutôt une bonne nouvelle en termes de gestion de l’économie.
Même si elle s’est stabilisée, la livre turque a perdu près de 30% de sa valeur l’année dernière. Reuters
Cette dépréciation indique que le gouvernement turc semble prêt à revenir à une gestion plus saine. Jusqu’à l’élection présidentielle, la Banque centrale, épaulée par les banques privées, dépense des sommes folles pour soutenir la monnaie. L’objectif de cette politique coûteuse et totalement artificielle décrétée par Recep Tayyip Erdogan est alors de soutenir les exportations pour que l’économie continue à tourner vaille que vaille. Tant pis si la facture des importations flambe et creuse un déficit commercial devenu abyssal. Et par conséquent un déficit des comptes courants hors du commun. Le plus élevé en quarante ans de statistiques. Tant pis si l’inflation à deux chiffres caracole et dévore le pouvoir d’achat des ménages. Pour le chef de l’AKP candidat à un troisième mandat, ce soutien sans conditions à la livre a été un moyen de porter l’économie à bout de bras jusqu’au scrutin, histoire de capitaliser dans les bureaux de vote sur ce qui a toujours été son fonds de commerce, de très bons résultats économiques, favorables au bazar d’Istanbul, son vivier électoral.
Mais au lendemain de sa victoire, Recep Tayyip Erdogan choisit un nouveau ministre de l’Économie, Mehmet Simek, qui veut rompre avec ces pratiques.
Sa mission est de combattre l’inflation aujourd’hui à 40% et surtout de réparer les dégâts commis par cette politique économique des plus fantasques. Car cette cavalcade financière a éreinté la Banque centrale. Elle a épuisé ses réserves de devises en soutenant la livre, il ne lui reste plus que les lignes de crédit offertes par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Russie. Recep Tayyip Erdogan fait mine de croire encore à ses recettes, mais si cet ex-ministre des Finances a accepté de revenir aux affaires, c’est pour appliquer une politique rationnelle et transparente. Ce sont les mots qu’il a employés à sa nomination et qui ont déjà rassuré les investisseurs. Cet ancien de la banque Merrill Lynch est connu pour ses positions plutôt libérales.
La dépréciation ultra-rapide de la livre qu’on observe depuis samedi dernier, c’est-à-dire depuis sa nomination, c’est un effet Mehmet Simek ?
Oui, un effet psychologique et c’est aussi le résultat d’un acte concret : depuis le début de la semaine, les banques turques n’interviennent plus sur la monnaie, témoignent plusieurs banquiers étrangers. La livre est encore loin d’avoir atteint son point d’équilibre. Elle va sans doute encore perdre du terrain face au dollar et à l’euro. Les investisseurs et les observateurs attendent maintenant de voir ce que va faire la Banque centrale. Devenu totalement inféodée au palais, elle n’a cessé d’abaisser ses taux directeurs depuis un an. Ils sont passés de 19% en mars dernier à 8,5% aujourd’hui, alors que c’est l’inverse qui est d’usage pour lutter contre l’inflation. Mais, là encore, Recep Tayyip Erdogan a préféré jouer avec le feu et laisser les taux le plus bas possible pour favoriser la croissance plutôt que la purge nécessaire pour faire baisser les prix.
La prochaine réunion de la Banque centrale turque sera donc un moment clé
Cette réunion est programmée dans quinze jours. Les investisseurs comme les économistes espèrent que le gardien de la monnaie turque commencera enfin à remonter les taux, afin d’enclencher le véritable combat contre l’inflation. Ce sera une journée test pour connaître la réelle volonté de changement du président réélu. On verra s’il laisse ou pas la Banque centrale jouer librement sa partition. Et c’est aussi un moment crucial pour l’avenir de la Turquie, plusieurs économistes pensent qu’il est trop tard et que le déficit des comptes courants va entraîner la Turquie dans une grave crise financière avant la fin de l’été. Il est donc urgent d’agir.
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