Incident. L’agression de marines en permission révélatrice du sentiment antiaméricain en Turquie

Courrier International, le 03/09/2024

Deux soldats américains en civil ont été pris à partie par une quinzaine de Turcs membres d’un groupe de jeunesse nationaliste, à Izmir, dans l’ouest du pays. Cette agression est le signe d’une hostilité grandissante en Turquie à l’égard de la politique américaine, notamment pour son soutien inconditionnel à Israël.

Deux soldats américains ont été agressés à Izmir, en Turquie, où mouillait leur navire l’USS “Wasp” (image d’illustration). PHOTO HALIL FIDAN/Anadolu/AFP
 

Lundi 2 septembre, à Izmir, troisième ville du pays et bastion de l’opposition, situé sur les rives de la mer Egée, deux soldats américains servant sur le navire de combat amphibie Wasp ont été agressés.

Pendant leur permission, ils ont été pris à partie par une quinzaine de personnes. Aux cris de “Yankee go home !”, les suspects ont ceinturé les deux marines avant de leur enfiler une cagoule sur le visage, rapporte le média en ligne Gazete Duvar. Un échange de coups s’est ensuivi avec d’autres militaires venus au secours de leurs camarades avant que la police turque n’intervienne.

L’ambassade américaine a confirmé sur le réseau social X qu’un incident avait eu lieu, tout en précisant que les deux militaires de l’USS Wasp étaient sains et saufs. L’action a été immédiatement revendiquée par l’Union de jeunesse de Turquie (TGB), une organisation rattachée au Parti patriote (Vatan Partisi), petit parti turc ultranationaliste et ultrakémaliste bien implanté au sein des forces de sécurité. La TGB a même partagé une vidéo de l’échauffourée sur X.

“Nous avons mis un sac sur la tête des soldats américains de l’USS Wasp […] Les soldats américains qui portent sur leurs mains le sang de nos soldats et de milliers de Palestiniens ne peuvent souiller notre pays”, peut-on lire dans le message accompagnant la publication.

La cagoule enfilée sur le visage des soldats est une référence des nationalistes turcs à un incident survenu en Irak en 2003, au cours duquel des membres des forces spéciales turques opérant clandestinement dans le Kurdistan irakien avaient été ainsi détenus par l’armée américaine, décrypte la BBC Türkçe.

Alliance de circonstance

L’USS Wasp a récemment effectué des manœuvres près des côtes turques. Si le ministère de la Défense turc a évoqué des manœuvres “de routine”, des voix critiques s’élèvent pour dénoncer des opérations américaines dans le contexte du conflit à Gaza et des craintes d’une escalade avec l’Iran et le Hezbollah libanais.

Dogu Perinçek, président du Parti patriote, auquel est rattachée la TGB, est un farouche adversaire des États-Unis. Il est également considéré comme un proche d’Alexandre Douguine, idéologue russe et thuriféraire de l’invasion de l’Ukraine, dont la fille est morte en août 2022 dans un attentat. Le média d’État russe en turc Sputnik se fait d’ailleurs le relais de ce fidèle soutien des intérêts de Moscou qui, dans un communiqué, dénonce pêle-mêle le soutien américain à la Grèce, à Israël et à un “prétendu Kurdistan”.

Depuis l’invasion de l’Ukraine, les réseaux ultranationalistes favorables à Moscou, dits “souverainistes” font feu de tout bois. Avec la guerre à Gaza, ils ont été rejoints par certains partis islamistes alliés du président islamo-nationaliste, Recep Tayyip Erdogan. Une étrange alliance de circonstance s’est ainsi formée entre ultrakémalistes et islamistes turcs, critiques de l’Otan et de Washington. Ami d’enfance et compagnon de lutte de jeunesse d’Erdogan, l’influent agitateur islamiste Metin Külünk a par exemple applaudi l’incident d’Izmir sur le réseau social X, saluant une victoire contre “le sionisme, l’évangélisme et le satanisme”.

Deux partis islamistes, le Nouveau Parti de la prospérité (YRP) et le Parti de la cause libre, qui ne cessent de gagner en influence, réclament la fermeture des bases américaines présentes sur le territoire turc depuis les années 1950. Situées dans le sud et le sud-est du pays, la station radar de Kürecik et la base militaire d’Incirlik – très sensible, parce qu’elle abrite en permanence plus de 90 têtes nucléaires américaines – sont notamment dans le viseur du leader du YRP, Fatih Erbakan, qui ne cesse de demander leur fermeture, souligne le média en ligne T24.

Encore trop dépendantes militairement et économiquement de leurs liens avec les États-Unis et l’Alliance atlantique, les autorités d’Ankara laissent prospérer ces discours antiaméricains, voire les reprennent parfois à leur compte, mais se gardent de laisser les tensions aller trop loin. Quinze personnes ont été interpellées à la suite de l’incident d’Izmir, dont dix ont été placées en détention provisoire, s’indigne le quotidien Aydinlik, propriété du Parti patriote.

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