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Le Figaro, le 19/04/2025
Par Géraud Poumarède, pour Le Figaro Histoire
(professeur d’histoire moderne à Sorbonne Université)
Cet article est extrait du Figaro Histoire « 1453 : les derniers jours de Constantinople ». Retrouvez dans ce numéro un dossier spécial sur la fin de l’Empire byzantin.
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La chute de Constantinople peut nous apparaître comme la fin d’un monde. Pour les Ottomans, elle aurait pu constituer un aboutissement ; elle n’était en réalité qu’une étape d’une expansion européenne qui ne s’est pas interrompue pendant plusieurs siècles. Avec la prise de la ville par Mehmed II en 1453, s’ouvrit au contraire une période de confrontation directe entre la chrétienté occidentale et l’Empire ottoman, alors que les derniers vestiges des souverainetés grecques d’Orient disparaissaient : les despotats de Morée sont définitivement conquis en 1460 et l’empire de Trébizonde, sur les bords de la mer Noire, sombre l’année suivante. Les colonies génoises de Crimée, et notamment le port de Caffa, sont prises en 1475.
L’expansion ottomane se poursuit aussi dans les Balkans et se déploie désormais vers la Méditerranée. Mehmed II commence à laminer la présence latine en mer Égée, s’attaquant aux seigneurs génois, détruisant ce qui restait du duché florentin d’Athènes, prenant l’île d’Eubée aux Vénitiens en 1470. En 1480, ses navires tentent sans succès un débarquement dans l’île de Rhodes, possédée par les chevaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Ils sèment aussi la terreur en Italie en s’emparant de la ville d’Otrante qui est mise à sac. Sur terre, la progression se fait au détriment des royaumes de Serbie et de Bosnie qui sont soumis peu à peu, tandis que l’Albanie est pacifiée après plusieurs décennies de révolte et que la Valachie entre dans l’orbite ottomane.
Les successeurs de Mehmed II poursuivirent dans cette voie. Bayezid II étend sa domination sur la Moldavie et s’empare de la quasi-totalité des points d’appuis vénitiens dans le Péloponnèse, au terme d’une guerre engagée contre la Sérénissime de 1499 à 1503. Les premières décennies du XVIe siècle apportent encore leur lot de succès : Belgrade tombe en 1521, Buda est prise en 1526 et, trois ans plus tard, les armées de Soliman le Magnifique mettent le siège devant Vienne. La plus grande partie de la Hongrie est désormais sous contrôle ottoman et le même sort attend la Transylvanie. À l’est, les possessions des Habsbourg et, plus au nord, la Pologne servent désormais de frontières à la chrétienté latine. Sur mer, Rhodes tombe en 1522, l’île de Chio, dernier vestige de la présence génoise en mer Égée, est investie en 1566, et les Vénitiens perdent entre 1537 et 1540 les deux dernières places qu’ils contrôlaient en Morée et la plupart des îles de l’archipel qui demeuraient encore sous leur autorité. Trente ans plus tard, en 1570-1571, Chypre leur est ôtée par les troupes de Sélim II.
Les côtes de l’Italie, l’île de Malte, où se sont repliés les chevaliers de Saint-Jean, assiégés en 1565, la Sicile, la Sardaigne et la Corse, ainsi que les littoraux espagnols sont les nouvelles frontières maritimes de l’Occident. Ces rivages sont d’autant plus exposés que les Ottomans eux-mêmes ont étendu leur domination le long de la Méditerranée, anéantissant les Mamelouks de Syrie et d’Égypte, en 1516-1517, et se dotant ensuite de points d’ancrage en Afrique du Nord, à Alger, Tunis et Tripoli. Ces places, bientôt désignées comme les régences Barbaresques, s’organisent en sociétés corsaires. Elles reposent sur une économie de la rapine, de la rançon et de l’esclavage, et poursuivent la lutte tout au long des XVIe et XVIIe siècles, en menant à travers la Méditerranée un djihad maritime, qui exerce une menace constante sur la sécurité des littoraux européens et des navigations marchandes. On estime à plus d’un million les captifs européens pris par les corsaires barbaresques entre 1530 et 1780, dont près de 850.000 pour leur période d’activité la plus intense entre 1580 et 1680.
L’«ennemi commun» de la chrétienté
Cette expansion formidable de la puissance ottomane est l’un des faits majeurs de la période. Elle conduit à une simplification de la configuration géopolitique de l’Europe et de la Méditerranée, laissant la chrétienté occidentale face à un monde ottoman aux frontières dilatées. Elle alimente aussi, à travers l’Europe, une peur des Turcs, qui structure la conscience et l’identité de l’Occident. Les témoignages affluent sur les conquêtes des sultans : le cardinal Isidore de Kiev, présent à Constantinople au moment de l’entrée des troupes de Mehmed II, multiplie les lettres dans lesquelles il évoque les horreurs commises : « Toutes les rues, les avenues et les ruelles, ruisselant de sang et de cruor, étaient pleines de cadavres éventrés et massacrés. »
Désormais scrutée avec la plus vive inquiétude, chaque nouvelle entreprise des Turcs fait frémir les contemporains. Il en résulte un sentiment de subversion inexorable de la chrétienté, qu’exprime, par exemple, Érasme en 1530, après une série de campagnes conduites par Soliman en Hongrie : « Toute l’Asie Mineure, qui ne contient pas moins de douze peuples, toute la Thrace avec Constantinople (…), les deux Mysies d’Europe en direction du Danube, une grande partie de la Dacie, toute la Macédoine et toute la Grèce avec l’ensemble des îles de la mer Égée, appelées pour partie Sporades et pour partie Cyclades, subissent une dure servitude sous la domination turque. (…) Et toutes ces incursions meurtrières faites en Hongrie ? Et la mort de Louis, roi de Hongrie ? Et, dans cette présente année, ce même pays tout entier occupé avec cruauté, le roi Ferdinand chassé de son trône, Vienne assiégée avec la plus grande fureur et toute l’Autriche, au-delà de cette ville, dévastée avec une incroyable férocité ? »
Face à ce déferlement, nombreux sont ceux qui voient dans l’Ottoman l’« ennemi commun », qui menace l’existence même de la chrétienté et qu’il faut repousser et si possible abattre. À la charnière des XVe et XVIe siècles, les perceptions européennes du monde ottoman dessinent les contours d’une culture de l’antagonisme, qui exprime un réflexe identitaire de défense et de rejet. Des images s’entremêlent pour mieux affirmer l’altérité radicale et hostile des Turcs. Enracinée dans le passé de la croisade et nourrie d’une tradition séculaire de confrontation avec l’islam, celle de l’infidèle s’impose au premier plan.
En 1517, le pape Léon X exhorte ainsi les princes européens à s’unir pour « refouler les Turcs et autres infidèles installés à l’Orient et au Midi, qui ignorent la voie de la vraie lumière et du vrai salut à cause de l’obscurité de leur esprit, harcèlent la croix vivifiante sur laquelle Notre Seigneur a voulu de lui-même affronter la mort, (…) et se font les ennemis haïssables de Dieu et les persécuteurs acharnés de la religion chrétienne ». Au référent religieux qui sature le combat contre les Turcs, les auteurs humanistes ajoutent aussi le motif du barbare. Ils font des Ottomans les descendants des Scythes, qui, aux marges orientales de l’Empire romain, le harcelaient. Cette barbarie des Turcs serait un mélange de brutalité sanguinaire, de luxure et d’ignorance, et Montaigne lui-même souligne combien les Ottomans sont formés à « l’estimation des armes et au mépris des lettres ».
Pour les contemporains, ils incarnent l’immanitas, concept qui s’oppose exactement à celui d’humanitas. Enfin, soucieux d’analyser les fondements de la puissance des sultans, les Vénitiens mettent en avant, à partir de la fin du XVIe siècle, la figure du despote et dénoncent un mode de gouvernement déréglé, fondé sur la contrainte et la terreur, guidé par les passions au lieu de la raison, qui imposerait aux sujets une obéissance « si grande qu’elle frise l’indicible ».
Reprendre Constantinople
Qu’il s’agisse de l’infidèle, du barbare ou du despote, toutes ces images composent une représentation du Turc qui est le double inversé de l’Européen et contribuent à stigmatiser l’ennemi pour mieux mobiliser contre lui les esprits et les cœurs. La menace ottomane justifie l’appel aux armes. Il ne s’agit pas seulement de stopper ses progrès, mais de détruire son empire en reprenant la ville de Constantinople, devenue sa capitale. Moins d’un an après sa chute, le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, fait avec sa Cour réunie à Lille le 17 février 1454, à l’occasion d’un splendide banquet, le vœu de partir délivrer Constantinople, comme on promettait autrefois de libérer Jérusalem.
S’il ne se met jamais véritablement en route, il n’en multiplie pas moins, jusqu’à sa mort, en 1467, les initiatives politiques, militaires, diplomatiques pour faire avancer le projet. Ses desseins croisent les efforts inlassables du pape Pie II (1458-1464) pour rassembler les souverains européens et les guider contre les Turcs, avec Constantinople pour objectif. Le duc de Bourgogne répond ainsi à l’appel pontifical, les Vénitiens promettent le soutien de leur flotte, le roi de Hongrie, Matthias Corvin, engagera ses forces. Pie II s’avance jusqu’à Ancône pour prendre en personne la tête de l’expédition. Il y meurt en 1464, sans que celle-ci n’ait jamais véritablement pris forme. Si la plupart de ses successeurs persistent tout au long du XVe siècle à exhorter les souverains à s’unir et à se mobiliser pour lutter contre les Ottomans, force est de constater qu’au-delà de quelques vagues promesses, ils parviennent rarement à des résultats probants dans une Europe minée par les rivalités politiques et territoriales de ses souverains et par les conflits religieux qui procèdent de l’essor des Réformes protestantes.
Les Saintes Ligues, conclues à l’initiative de Paul III en 1538 et de Pie V en 1571 font néanmoins exception. Toutes deux sont négociées dans un climat d’urgence, lié à l’attaque des possessions vénitiennes de Corfou en 1537 et de Chypre en 1570 ; elles rassemblent, outre Rome et Venise, l’Espagne de Charles Quint, puis de Philippe II ; elles soulèvent une vague d’espoir, qui conduit les coalisés à prévoir le démantèlement de l’Empire ottoman qui suivra la victoire : l’« empire de Constantinople » reviendra aux Habsbourg, la Sérénissime République récupérera les territoires qu’elle a dû abandonner aux Turcs, les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem retrouveront Rhodes…
Les Saintes Ligues se révèlent cependant décevantes. Si les alliés unissent leurs flottes en Méditerranée orientale, leur collaboration est minée par des tensions constantes. Le bilan de la première demeure ainsi particulièrement terne, les Vénitiens accusant le commandant en chef des escadres chrétiennes, le Génois Andrea Doria, d’avoir esquivé le combat avec les Ottomans, lorsque les deux flottes ennemies se sont rencontrées à Préveza, le 27 septembre 1538. Le cas de la seconde est différent : l’éclatante victoire de Lépante, remportée par les coalisés qui détruisent la marine ottomane au large de la Grèce, le 7 octobre 1571, a un retentissement large et durable à travers toute l’Europe.
Toutefois, ce succès reste sans lendemain sur le terrain : galvanisés par lui, les Vénitiens plaident pour que les alliés poussent aussitôt leur avantage jusqu’aux Détroits, voire jusqu’à Constantinople, et profitent des circonstances favorables pour abattre l’ennemi, mais ils ne sont pas entendus. Mobilisant les ressources de son empire, le sultan Sélim II reconstitue en une saison la flotte qui vient d’être détruite. Les deux Saintes Ligues s’achèvent sur un échec après quelques années de lutte : malgré les appels réitérés des papes, aucun autre souverain de premier plan ne vient rejoindre les coalisés ; surtout, déçus par la tournure des événements et soucieux du rétablissement de leur commerce du Levant, les Vénitiens négocient en secret avec les Ottomans et concluent avec eux des paix séparées, aussi bien en 1540 qu’en 1573.
Une autre voie
Le relatif isolement des belligérants des Saintes Ligues et les retournements des Vénitiens éclairent une donnée nouvelle des relations avec l’Empire ottoman, celle de la composition et parfois de l’alliance. Désireux de maintenir leurs liaisons commerciales avec la Méditerranée orientale et de préserver un empire maritime dont les territoires s’étendent depuis l’Adriatique jusqu’à Chypre, les Vénitiens entretiennent très tôt des liens diplomatiques avec les Ottomans. Dès 1454, ils obtiennent le rétablissement à Constantinople de leur baile, qui est à la fois le chef des communautés vénitiennes du Levant et le représentant diplomatique de la Sérénissime. Certes, la proximité croissante, et parfois l’imbrication, des deux empires vénitien et ottoman, est source de tensions fréquentes et parfois de conflits, qui se traduisent par un laminage des possessions vénitiennes, mais Venise se montre attachée, autant que possible, au maintien de relations pacifiées avec son voisin ottoman.
L’irruption des Ottomans sur le théâtre géopolitique euro-méditerranéen en fait aussi des acteurs à part entière des conflits incessants qui s’y déroulent. Dès le XVe siècle, les sultans ottomans sont parfois vus comme un recours par les souverains italiens confrontés à des luttes intestines et des liens sporadiques s’établissent. Après la bataille de Pavie, en 1525, la France se tourne à son tour vers Soliman le Magnifique. François Ier sollicite son soutien dans le conflit qui l’oppose à Charles Quint et un premier ambassadeur du roi, Jean de La Forest, s’établit à Istanbul en 1535.
Ces liens nouveaux, souvent étroits, favorisent l’essor des circulations entre l’Europe et le monde ottomanL’alliance est d’abord militaire et scandalise une partie de la chrétienté : jusqu’à la paix de Cateau-Cambrésis en 1559, Français et Ottomans organisent à huit reprises des opérations maritimes communes en Méditerranée contre Charles Quint, puis son successeur Philippe II. Les liens se prolongent jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, la France déployant dans le Levant son commerce et ses réseaux consulaires, et revendiquant, au nom des rapports privilégiés qu’elle entretient avec la Porte ottomane, une protection des chrétiens. D’autres puissances font, par la suite, des choix similaires : les Anglais s’installent dans le Levant dans les années 1580, suivis par les Hollandais dans les années 1610.
Ces liens nouveaux, souvent étroits, favorisent l’essor des circulations entre l’Europe et le monde ottoman. Diplomates, mais aussi marchands ou encore curieux et voyageurs le parcourent et diffusent en Occident de nouvelles représentations de celui-ci, dont témoigne, par exemple, dès 1560, la publication de La République des Turcs, par Guillaume Postel. L’auteur, qui a lui-même voyagé dans le Levant, y propose une vision à la fois apaisée et plus précise de l’Empire ottoman, et notamment de l’islam et de ses pratiques en son sein. Surtout, la complexité de cet empire, sa diversité géographique, son caractère multiethnique et multiconfessionnel se révèlent peu à peu aux yeux des Européens. L’importance des minorités chrétiennes et de leurs églises, consacrée par le rétablissement, par Mehmed II, dès 1454, du patriarcat grec de Constantinople, tout comme la présence d’une diaspora juive, viennent brouiller l’image antagoniste et radicale du Turc construite en Occident.
Les Turcs continuent cependant de menacer l’Europe mais leurs guerres n’impliquent que leurs voisins immédiats. Un glissement progressif du rapport de force s’opère toutefois en faveur de ces derniers. Entre 1645 et 1669, Venise parvient pratiquement seule à tenir tête aux forces du sultan qui ont envahi l’île de Crète. Certes, cette possession vénitienne finit par tomber, mais il n’en a pas moins fallu un quart de siècle aux Ottomans pour en venir à bout. À partir des années 1680, un mouvement de reconquête s’amorce en Europe orientale et dans les Balkans : en 1683, les Ottomans échouent devant Vienne, sauvée par l’arrivée d’une armée polonaise conduite par le roi de Pologne Jean III Sobieski. Impériaux et Polonais entament une contre-offensive et prennent l’avantage en Hongrie. Les Turcs reculent.
Depuis Rome, le pape Innocent XI œuvre à nouveau en faveur d’une Sainte Ligue et sollicite l’intervention de Louis XIV. Celui-ci pourrait armer sur mer et, tandis qu’Impériaux et Polonais combattraient sur terre, il « irait porter la guerre dans la Grèce et jusques à Constantinople même », finissant, une fois la victoire acquise, par se faire « couronner empereur » dans cette même ville. À défaut du roi de France, ce sont les Vénitiens qui se laissent décider par cette stratégie de la tenaille défendue par le souverain pontife pour s’emparer enfin de la capitale ottomane.
Pour la première fois de leur histoire, ils prennent l’initiative de déclencher une guerre contre le sultan, après s’être alliés à l’empereur Léopold Ier en 1684. La guerre s’achève en 1699 par la paix de Karlowitz. Si Constantinople n’est pas tombée, les coalisés ont récupéré des territoires qui étaient pour certains d’entre eux passés depuis longtemps sous la domination ottomane : les Impériaux, qui conquièrent Buda en 1686, libèrent la majeure partie de la Hongrie et s’assurent du contrôle de la Transylvanie ; les Polonais reprennent la Podolie, que les Turcs leur avaient ravie en 1672 ; les Vénitiens occupent le Péloponnèse et ont progressé en Dalmatie.
Les ambitions impériales de la Russie
Un retournement s’amorce ainsi dans les dernières décennies du XVIIe siècle. Il est accentué par l’entrée en guerre de la Russie aux côtés de la Sainte Ligue, à partir de 1686. Ses souverains portent le titre de tsar (« césar ») et se voient en continuateurs de l’Empire byzantin, alors que Moscou est présentée comme la « Troisième Rome ». Ils s’engagent dans une politique d’expansion en direction de la mer Noire, dont les littoraux septentrionaux sont occupés par les Tatars, vassaux des Ottomans, et cherchent à étendre leur protection sur les sujets orthodoxes des sultans.
Si jamais les Turcs doivent être chassés de l’Europe, ce sera par les Russes
Voltaire, en novembre 1768
Un premier conflit, en 1676-1681, a fixé la frontière russo-ottomane sur le Dniepr et les pèlerins russes ont obtenu le droit de fréquenter librement les Lieux saints. La paix de Constantinople, en 1700, donne aux Russes la place d’Azov, au fond de la mer d’Azov, en même temps qu’elle les libère du tribut qu’ils payaient jusqu’alors aux Tatars ; ils installent aussi un représentant permanent à Istanbul. Les décennies suivantes sont plus incertaines : les avancées russes sont annulées par la courte guerre de 1710-1711, qui tourne au désastre pour Pierre Ier, mais Azov est finalement récupérée à l’issue du conflit de 1735-1739.
La guerre reprend sous le règne de Catherine II (1762-1796) et les progrès sont décisifs. Engagé par les Ottomans, un premier conflit (1768-1774) tourne pour eux à la déroute sous les applaudissements de l’Europe des Lumières. Dès novembre 1768, Voltaire encourage l’impératrice : « Si jamais les Turcs doivent être chassés de l’Europe, ce sera par les Russes », estime-t-il, avant de lui demander la permission « de venir [se] mettre à ses pieds et de passer quelques jours à sa Cour, dès qu’elle sera établie à Constantinople ».
Un appel aux chrétiens de l’Empire ottoman est lancé, les invitant à la révolte contre le sultan : les Russes s’engagent dans un combat qui prend des allures de guerre sainte. Les armées de Catherine progressent en Kabardie dans le Caucase, en Crimée, ainsi qu’en Moldavie et en Valachie, tandis qu’une flotte russe pénètre en Méditerranée après avoir contourné l’Europe, vient soulever les Grecs du Péloponnèse et écrase la flotte ottomane à Tchesmé, en mer Egée, le 6 juillet 1770.
Le traité de Kutchuk-Kaïnardji en 1774 consacre ces victoires : la Porte ottomane doit reconnaître l’indépendance des Tatars de Crimée, tandis que les Russes obtiennent des points d’appui dans cette péninsule, le libre accès à la mer Noire et un passage vers la Méditerranée par les Détroits ; la Kabardie, à l’est, est annexée ; l’ambassade russe est rétablie à Istanbul et des consulats sont ouverts dans l’Empire ottoman. Ils deviennent autant de relais de la propagande impériale à destination des Slaves et des Grecs, et de la protection que l’impératrice entend désormais pleinement exercer sur les sujets orthodoxes du sultan.
Ces premiers succès enhardissent Catherine II. Non seulement, elle consolide ses positions sur la mer Noire et proclame unilatéralement l’annexion de la Crimée en 1783, réalisant ainsi l’ambition séculaire de la Russie de se ménager un « accès aux mers chaudes », mais elle développe aussi l’ambitieux dessein d’en finir avec les Ottomans pour rétablir à leur place l’Empire byzantin. Dans une lettre à l’empereur Joseph II, en 1782, elle sollicite son concours pour « délivrer l’Europe de l’ennemi du nom chrétien en le chassant de Constantinople » et pour rétablir « l’ancienne monarchie grecque sur les débris de la chute du gouvernement barbare qui y domine ».
L’impératrice compte sur le soutien des sujets orthodoxes du sultan, travaillés de courants prophétiques qui annoncent leur libération à l’arrivée d’un peuple étranger identifié avec les Russes ou le retour du dernier empereur byzantin Constantin XI Paléologue, qui rétablira Byzance. Né en 1779, le second des petits-fils de Catherine II, est opportunément prénommé Constantin, il reçoit une éducation à la grecque et semble destiné à régner un jour sur cet empire restauré. À l’initiative de la souveraine, la Cour russe devient philhellène. Des noms grecs sont donnés aux territoires conquis et la Crimée nommée Tauride. Les grands textes grecs sont traduits : l’Odyssée est publiée en 1776, l’Iliade en 1782.
Comme les grands projets de partage conçus autrefois par les Saintes Ligues, le dessein grec de Catherine II resterait cependant lettre morte. Il n’en accompagnerait pas moins le resserrement des liens entre la Russie et les peuples orthodoxes des Balkans et porterait l’expansion russe le long des rivages de la mer Noire. Celle-ci est confirmée, au XVIIIe siècle, par une ultime guerre russo-ottomane, en 1787-1792, à l’issue de laquelle le sultan abandonne officiellement la Crimée à la Russie, qui acquiert en outre le port d’Otchakov, à l’embouchure du Dniepr. Ces gains territoriaux n’affectent encore l’Empire ottoman que sur ses marges. Celui-ci a tenu bon face à la poussée russe et il serait prématuré de le voir déjà comme « l’homme malade de l’Europe », sur lequel se penchera, au XIXe siècle, le concert des nations afin d’en régler le sort. Mais les entreprises de Catherine II n’en ont pas moins jeté les ferments de ce qui deviendra, dans la période suivante, face au grand réveil des cultures et des identités, et à l’ambition des puissances européennes, la « question d’Orient ».
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