Recep Tayyip Erdogan ne s’attendait sans doute pas à de telles manifestations après l’arrestation d’Ekrem Imamoglu. Le CHP, le parti du maire destitué, est persuadé que l’ampleur de cette mobilisation a dissuadé le pouvoir d’aller plus loin – pour l’instant, du moins – et de placer sous tutelle la mairie d’Istanbul et le CHP lui-même. Ekrem Imamoglu, lui, reste en prison en attendant que le parquet rédige un acte d’accusation et que son procès commence.
Au fil des semaines et des arrestations – près de 1 900 personnes ont été placés en garde à vue, quelque 300 emprisonnées, une quarantaine le sont toujours –, la mobilisation a pris d’autres formes. Le CHP organise désormais deux rassemblements par semaine et une campagne de signatures pour réclamer la libération d’Ekrem Imamoglu. Le parti affirme en avoir récolté plus de 10 millions à ce jour.
Il appelle également au boycott des entreprises considérées comme proches du pouvoir. Pour Tolga, un manifestant de 28 ans qui participait récemment à un rassemblement à Ankara, cette action est sans doute la plus efficace. « Le parti au pouvoir, l’AKP, est en réalité une géante entreprise. Et quand nous jouons avec son argent, il se retrouve acculé et il commence à faire n’importe quoi. La preuve : le pouvoir a fait emprisonner des personnalités qui avaient relayé les appels au boycott. C’est en maintenant la pression que nous ferons élire Ekrem Imamoglu lors d’élections anticipées et que nous le sortirons de prison », veut-il croire au micro de notre correspondante à Istanbul, Anne Andlauer.
La jeunesse étudiante, l’autre force motrice de cette contestation, continue aussi de se mobiliser, principalement sur les campus. Débats, rassemblements, boycott des cours, des examens, des marques proches du pouvoir… « Il est nécessaire de ne pas abandonner les rues, de continuer à manifester… Parce qu’avec le temps, les gens peuvent oublier. Il faut que nous restions visibles dans l’espace public, il faut que les célébrités relaient davantage nos messages sur les réseaux sociaux. Le plus grand risque, c’est vraiment que les gens oublient », alerte Tolga.
Premiers procès
Une autre bataille se joue dans les tribunaux, où les premiers procès de manifestants se sont ouverts ce vendredi 18 avril. Sur les bancs des accusés : huit journalistes, dont un photographe de l’AFP, assimilés par les autorités à des manifestants et accusés de participation à des rassemblements illégaux. Au total, 189 personnes ont comparu à Istanbul dans deux audiences distinctes.
La première a duré moins d’une heure, le temps de se rendre compte que la salle était trop petite pour accueillir les 90 étudiants qui devaient comparaître. Le procès de 45 d’entre eux a été reporté au 4 juillet. Les autres seront jugés plus tard, le tribunal ayant décidé de séparer les dossiers. Au même moment, dans une autre salle – plus grande, celle-là –, 99 personnes faisaient aussi face aux juges pour la première fois. Parmi eux, les huit journalistes, et quatre avocats. La cour a décidé d’emblée de séparer leurs dossiers et de renvoyer leur procès à une date ultérieure, pas encore définie.
L’audience s’est poursuivie pendant toute la journée pour les 87 autres accusés, tous des étudiants qui ont participé aux manifestations. Un à un, ces jeunes, souvent à peine majeurs, et leurs avocats se sont succédé à la barre pour réclamer un acquittement général immédiat et rappeler que la liberté de manifester était garantie par la Constitution turque. La date de la prochaine audience a été fixée au 3 octobre.
Ce vendredi, enfin, un troisième tribunal d’Istanbul a rejeté la demande de remise en liberté du maire destitué, Ekrem Imamoglu. La date de son procès n’a toujours pas été fixée et son sort fait l’objet de nombreuses spéculations. « Le président du parti nationaliste MHP, principal allié d’Erdogan, a dit qu’il souhaitait que le maire d’Istanbul ait droit à un jugement équitable. Ça a été ressenti par l’opposition comme une main tendue. On a une incertitude sur ce qu’il se passe dans le camp présidentiel et dans ses alliances », constate la chercheuse Dorothée Schmidt, responsable du programme Turquie et Moyen-Orient à l’Institut français de relations internationales, au micro de RFI. ù