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Le Monde, le 05/02/2024
Par Nicolas Bourcier (Kahramanmaras, envoyé spécial)
Le sud profond du pays reste profondément marqué par la catastrophe du 6 février 2023. Malgré la difficulté de mener des enquêtes, les habitants de la petite cité meurtrie de Kahramanmaras tentent d’obtenir justice face à des promoteurs proches du pouvoir.
La mort a perdu son odeur, mais elle rôde encore de manière obsédante sur ces champs de ruines un an, jour pour jour, après avoir tout emporté sur son passage. Kahramanmaras, cité travailleuse et conservatrice du Sud profond turc, a été frappée de plein fouet par le gigantesque tremblement de terre du 6 février 2023. Officiellement, 53 537 personnes y ont trouvé la mort, dont près d’un tiers ici même.
Sur les hauteurs du boulevard Vezir-Hoca, qui file tout droit vers le centre-ville, deux immeubles sur trois ont été ravagés par le séisme et ses répliques. Les autres, inhabitables, ont été évacués et vidés, promis à une démolition future. Seuls quelques édifices du quartier sont encore debout, impuissants à consoler l’extrême désolation alentour.
Téléphone à la main, sac en bandoulière, Tuba Erdemoglu retourne les pierres et les éclats de béton du geste lent et précis de ceux qui ont appris d’instinct à survivre. « Il me faut accumuler les preuves », explique-t-elle, d’une voix blanche. Sous ses pieds gisent les restes de l’immeuble Said-Bey, du nom donné lors de sa construction, en 2016, à ces deux édifices joints, plutôt modernes et chics à l’époque, un bloc A et un bloc B, huit étages chacun, neuf si l’on compte l’entresol. Tout ici a été broyé et déblayé dans les mois qui ont suivi la catastrophe pour retrouver les corps : quarante-quatre à ce jour ; quarante-cinq si l’on y ajoute un enfant toujours disparu, pour seulement vingt-cinq survivants.
« L’immeuble s’est effondré en huit secondes »
Tuba Erdemoglu elle-même a creusé et cherché les membres de sa famille durant trois jours et trois nuits, à mains nues. L’immeuble a emporté sa sœur, sa mère, son père et son grand-père. Seule sa grand-mère de 75 ans a survécu. Le canapé du salon sur lequel elle s’était allongée cette nuit-là s’est renversé et lui a servi de calotte protectrice. Elle vit désormais seule dans une des cinquante cités conteneurs de l’agglomération.
« Partout, des bâtiments se sont effondrés, mais pas comme ça, glisse-t-elle. L’immeuble Said-Bey nous a été vendu comme étant le plus sûr et le plus respectueux des normes sismiques, il s’est entièrement effondré sur lui-même en huit secondes. Comme ça, d’un coup, les deux blocs, le temps d’un souffle. Aucun autre immeuble du quartier ne s’est aplati de la sorte. »
Ensemble, avec les rescapés, elle a porté l’affaire en justice. Une action collective de vingt-cinq femmes et hommes de tous âges et de toutes conditions, véritable microcosme d’un pays meurtri. Il y a là un officier de l’armée, un professeur de Coran, un commerçant quinquagénaire, une esthéticienne, tous irrémédiablement marqués, mais dont la plainte a été acceptée par le parquet de la cour pénale de la ville, déclenchant un des tout premiers procès d’envergure de la région ouverts contre des promoteurs de bâtiments sinistrés. L’audience préliminaire, début décembre 2023, a duré près de treize heures. La deuxième, le 19 janvier, à peine un peu moins.
Au total, cinq professionnels et techniciens locaux ont été mis en examen. Quatre ont été incarcérés, dont le constructeur et vendeur de l’immeuble, Hasan Çam. L’homme, 52 ans, est une figure de Kahramanmaras. Propriétaire d’une chaîne de magasins d’alimentation, il est connu pour sa proximité avec les dirigeants de cette ville bastion du Parti de la justice et du développement, l’AKP, la formation au pouvoir à Ankara. Lui clame son innocence, dit que tout a été fait dans les règles et laisse entendre qu’il menacerait de poursuivre les plaignants pour ses jours passés en prison.
Contournements des règles de sécurité
Dans un pays qui goûte peu aux investigations remettant en cause les pouvoirs et chaînes de commandements locaux, le propos tient à la fois de l’imprécation et de l’évidence piquante. Après le tremblement de terre de 1999 à Izmit, près d’Istanbul, quelque 2 100 procédures avaient été lancées, mais un seul promoteur a été condamné à une peine de prison ferme. Et encore, après plusieurs longues et âpres années d’instruction.
Tuba Erdemoglu, elle, n’en a cure. La trentenaire connaît cette histoire, mais se dit sûre de son droit. Mère de trois enfants, sans emploi et mariée au tenancier d’une petite boutique d’achat et vente d’or, elle se souvient très précisément des mots de Hasan Çam, venu leur vanter la robustesse de l’édifice au moment de l’achat de l’appartement : « “Si un tremblement de terre de 10 sur l’échelle de Richter venait à survenir, avait-il affirmé mot pour mot, la tasse de thé sur la table ne bougerait pas d’un iota.” » Le prix à l’époque était lié : 220 000 livres turques (l’équivalent de 60 000 euros en 2016) pour quatre chambres et 175 mètres carrés, « c’était très cher, mais on avait confiance ».
Pendant des mois, Tuba Erdemoglu a récolté des échantillons, pris des photos et recueilli des témoignages. Elle a tout envoyé aux experts, sept au total, qui se sont penchés sur Said-Bey. Leur rapport de quarante-trois pages, que Le Monde a pu consulter, a été versé à l’enquête. Il jette une lumière crue sur de nombreux dysfonctionnements, passe-droits et contournements des règles de sécurité. Toutes ces pratiques courantes et montrées du doigt depuis des années par les spécialistes, notamment de la part des chambres des ingénieurs et des architectes, qui dénoncent sans échos ni effets la course effrénée de la rente immobilière.
Pêle-mêle, le document relève des contrôles de vérification des travaux « effectués de manière inappropriée ». Des tests réalisés « après l’achèvement de la construction alors qu’ils devaient être effectués pendant les travaux ». L’absence encore de précaution lors de la transformation d’une mezzanine en pièce pouvant « affecter négativement le système porteur du bâtiment ». Le non-respect aussi des principes de découpage du terrain dans une zone sismique « lors des phases de conception et de construction ».
« De la mousse dans les poutres »
Les travaux ont commencé avant même l’obtention du permis de construire. « Sur les papiers, tout paraît en règle, les signatures apposées, mais dans le concret rien n’est contrôlé ni vérifié », fustige Tuba Erdemoglu. Elle en veut pour preuve les analyses effectuées sur une structure du bâtiment. « Les résultats du carottage montrent clairement que le béton était trois fois moins résistant que les normes en vigueur. Moi-même, j’ai prélevé de la mousse qu’ils ont utilisée dans des poutres, ce qui est totalement interdit », explique-t-elle. Et puis ceci : « Ils ont aussi coupé certaines colonnes du rez-de-chaussée, à l’arrière du supermarché de la chaîne de Hasan Çam, comme cela se fait partout dans le pays pour gagner de la place. C’est criminel, ce n’est pas le séisme qui a tué, ce sont bien eux. »
L’enquête a mis neuf mois avant d’aboutir à la mise en examen dudit promoteur, le directeur du chantier, deux responsables locaux des inspections et une agente d’une société de contrôle des bâtiments. Dans l’acte d’accusation de vingt-deux pages, il est reproché aux accusés d’avoir causé la mort et infligé des blessures par « négligence consciente », un délit pour lequel les auteurs encourent des peines allant de huit mois à vingt-deux ans et demi d’emprisonnement. « Si on y arrive, ça sera déjà ça », dit Tuba Erdemoglu en rallumant une cigarette.
Derrière le « ça » se cache le fait qu’aucun haut fonctionnaire chargé de la supervision des projets de construction n’a été pour l’heure poursuivi, ni à Kahramanmaras ni ailleurs, dans les régions touchées par le séisme. Plus de huit cents personnes ont été mises sous les verrous depuis la catastrophe, mais pas un seul responsable de l’Etat ayant accordé des permis de construire ou validé des inspections de sécurité. Un élu a été certes placé en garde à vue, relâché une première fois et arrêté à nouveau, mais en raison de son activité de promoteur immobilier. Aucune enquête publique n’a été ouverte ni même autorisée par le ministère de l’intérieur.
Miraculée d’un monde enfoui
Au tribunal, devant la petite salle chauffée à blanc, le juge chargé de l’affaire, Said Bey, a purement et simplement coupé la parole à l’un des avocats des parties civiles au moment où celui-ci souhaitait revenir sur les responsabilités hiérarchiques de la catastrophe. Lorsque ce dernier a évoqué la municipalité et le ministère de l’environnement et de l’urbanisation, le magistrat, qui depuis le début de l’affaire s’était montré plutôt ouvert et à l’écoute des plaignants, a soudainement lâché un « c’est assez », avant de donner la parole à un autre témoin.
Assise au milieu du public, droit devant la cour, la jeune Elif s’est levée. 19 ans, miraculée de ce monde enfoui, elle a tenté de raconter de sa voix frêle ses interminables souffrances : comment, après quatre vingt-quatre heures ensevelie sous les décombres, elle a été sauvée, comment son corps écrasé et encastré restera marqué à vie, avant de s’effondrer en larmes.
Elif avait confié deux choses avant d’entrer dans le tribunal. D’abord qu’elle voulait passer les concours à Ankara pour faire du droit et devenir juge. Ensuite, qu’elle s’était décidée à venir ici pour voir ce fameux promoteur, même au travers de l’écran de télévision installé dans la salle et relié à la prison où il est détenu. Elle voulait se trouver en face de lui, une fois, en direct : « Pour qu’il voie cette colère infinie qui se trouve dans mes yeux », dit-elle. La prochaine audience est prévue en avril.
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