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Challenges, le 13/11/2023
Par Marc Semo
EDITORIAL – En critiquant de manière virulente Israël et en soutenant le Hamas et la Palestine, Erdogan s’est isolé alors qu’il aurait pu jouer un rôle crucial dans la guerre au Proche Orient. A la fois membre de l’Otan et musulmane, la Turquie avait toutes les cartes en main. La politique étrangère du président turc est une diplomatie populiste dans laquelle le discours anti-occident est central, estime notre éditorialiste Marc Semo.
Le président turc Tayyip Erdogan, portant un foulard avec les drapeaux palestinien et turc, se tient sur scène lors d’un rassemblement organisé par le parti AKP en solidarité avec les Palestiniens de Gaza, à Istanbul, le 28 octobre 2023.AFP / HANDOUT
En bon populiste, le président turc Erdogan aime à personnaliser les relations avec ses homologues qu’il tutoie volontiers, surtout dans l’invective. Ainsi n’avait-il pas hésité à accuser Angela Merkel de se comporter comme une nazie ou à mettre en doute la santé mentale d’Emmanuel Macron. Sa cible désormais ? Le premier ministre israélien Netanyahou qu’il accuse d’être un homme « sans parole ».
Erdogan s’indigne du « massacre immoral sans scrupule et méprisable » mené par l’armée israélienne à Gaza dans un discours tenu le 28 octobre à Istanbul devant plus de cent mille partisans. C’était la veille du centenaire de la République turque inspirée du modèle jacobin, fondée sur les décombres de l’empire ottoman. Cet anniversaire ne fut célébré le lendemain, en demi-teinte.
Erdogan, soutien total à la Palestine et au Hamas
Mustapha Kemal avait fait le choix de la laïcité et de l’Europe car, selon ses propres mots, « la civilisation est une ». Recep Tayyip Erdogan, l’ancien élève d’une école pour iman, mise lui sur l’islam et l’orient. Keffieh autour du cou, il affichait en grande pompe son total soutien à la Palestine et au Hamas.
C’était sa première apparition à la tribune depuis les massacres du 7 octobre qu’il avait certes condamné. Resté discret pendant plusieurs jours, l’homme fort d’Ankara se pose à nouveau comme le plus « vocal » des dirigeants du monde arabo-musulman sur la tragédie de Gaza. Seul l’Iran est encore plus véhément.
Mais la Turquie, elle, est membre de l’Otan et toujours candidate à l’Union européenne, même si le processus est en coma profond. Ces propos enflammés embarrassent les alliés d’Ankara qui, une fois de plus, se demandent où est la Turquie et quel est le jeu de son imprévisible – ou trop prévisible – président. Et sur sa rationalité dans cette nouvelle volte-face.
« Ô Occidentaux, je m’adresse à vous, voulez-vous relancer une nouvelle croisade de croissant contre la croix ? Le principal responsable du massacre à Gaza c’est l’Occident », martelait Recep Tayyip Erdogan qualifiant l’État hébreu « d’envahisseur », « d’organisation » sous entendu terroriste, et donc de ne pas un être un « vrai » Etat.
Jamais l’homme fort n’avait eu des mots aussi durs, même en 2010 après l’arraisonnement en mer par des commandos israéliens du Mavi Marmara, qui tentait de forcer le blocus maritime de Gaza, tuant 9 activistes de l’ONG islamiste turque ayant affrété le navire.
Après des années de brouille diplomatique, les autorités israéliennes furent contraintes de s’excuser et de payer des dédommagements. Depuis, les relations entre les deux pays avaient peu à peu repris. Erdogan et Netanyahou s’étaient même rencontrés en marge de l’assemblée générale des Nations unies en septembre dernier à New York. Tout cela est balayé.
Erdogan, une diplomatie populiste
Erdogan montre de la sorte sa colère contre un occident qu’il accuse « de deux poids deux mesures » face à la souffrance palestinienne. Ainsi, il s’est refusé à annuler une visite dans une petite ville de l’Est anatolien et n’a pas accueilli le secrétaire d’américain Anthony Blinken.
La politique étrangère du président turc est un parfait exemple de diplomatie populiste, c’est-à -dire centrée avant tout sur des intérêts politiciens et obéissants à ce que le Raïs, comme l’appellent ses partisans, imagine être l’humeur du pays. Ou plus précisément de cette moitié de Turquie conservatrice et nationaliste qu’il incarne après avoir été contraint pour la première fois en mai dernier à un second tour à l’élection présidentielle remportée laborieusement avec 52 % des voix.
Finies les déclarations prudentes et mesurées d’après le 7 octobre du leader turc qui espérait pouvoir jouer les médiateurs entre les autorités israéliennes et le Hamas. Les principaux dirigeants de la branche politique résidaient en Turquie quand ils n’étaient pas au Qatar. Erdogan espérait pouvoir profiter de la nouvelle phase d’ouverture avec Israël et éviter toute tension avec les Etats-Unis.
Avec l’intensification des bombardements et de la crise humanitaire, cette position devenait de plus en plus intenable vis-à -vis de sa base alors qu’en mars prochain, l’AKP (parti de la justice et du développement) au pouvoir depuis vingt ans espère reconquérir lors des élections municipales les mairies d’Istanbul et d’Ankara.
Erdogan, porte-voix du peuple arabe
Erdogan a donc repris la posture qui lui est chère, celle de héraut des peuples opprimés du monde musulman comme il l’avait fait dès 2009 avec son « coup de colère » contre l’Israélien Shimon Peres lors du forum de Davos. Sa popularité avait alors atteint son zénith dans la rue arabe d’autant que, les années suivantes, il appuya les mouvements du printemps arabe soutenant les Frères Musulmans, mouvance islamiste, dont son parti lui-même est issu.
Mais cette nouvelle volte-face risque d’annihiler les efforts menés depuis deux ans pour se poser en acteur responsable aussi bien au Moyen-Orient que dans le Caucase et la mer Noire, et non plus seulement comme une puissance agressive par ses interventions en Syrie contre les Kurdes, son soutien à l’Azerbaïdjan dans sa reconquête finalement achevée du Haut – Karabagh, son activisme en Libye ou dans les conflits récurrents avec la Grèce sur la délimitation des eaux territoriales en mer Egée.
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