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Le Point avec AFP, le 07/02/2019
En prenant la tête de Fenerbahçe l’été dernier, l’homme d’affaires turc Ali Koç a eu la mauvaise surprise de découvrir que les dettes du club stambouliote étaient bien plus élevées que prévu: 620 millions d’euros, dont les deux tiers à rembourser sous un an.
« Les banques ont commencé à sonner à la porte, a déclaré M. Koç en juillet, un mois après sa prise de fonction. Je ne m’attendais certes pas à débarquer dans un monde poudré de rose. Mais je ne m’attendais pas à ça non plus ».
La Turquie s’est imposée ces dernières années comme une destination de choix pour des valeurs sûres mais déclinantes du football européen qui ont été nombreuses à rejoindre l’un des trois grands clubs d’Istanbul: Galatasaray, Fenerbahçe ou Besiktas.
Les arguments ne manquaient pas: des supporters passionnés, un championnat en progression et des clubs prêts à tout pour devenir plus compétitifs, à commencer par mettre la main à la poche. Mais cet engouement s’est évanoui.
Surendettés, frappés de plein fouet par les difficultés économiques qui secouent la Turquie depuis l’an dernier, les clubs ont vendu ou libéré plusieurs joueurs clés depuis l’été.
Galatasaray a ainsi été contraint de se séparer de l’attaquant français Bafétimbi Gomis — meilleur buteur du championnat l’an dernier–, Besiktas de son patron défensif Pepe et Fenerbahçe de son chef d’orchestre Giuliano.
« La dette totale des clubs de football turcs a atteint 14,5 milliards de livres turques (près de 2,5 milliards d’euros au cours actuel) », indique à l’AFP Tugrul Aksar, un banquier spécialiste de l’économie du football turc.
« Les clubs ne semblent pas en mesure de résoudre par eux-mêmes leurs problèmes financiers, car il y a des écarts trop grands entre leurs rentrées d’argent et leurs dépenses », ajoute-t-il.
« Dépenses incontrôlées »
Partageant ce constat, la Fédération turque de football (TFF) a annoncé le mois dernier un accord de restructuration de la dette des clubs qu’elle évalue pour sa part à environ 1,7 milliards d’euros, détenue à 86 % par les trois grands d’Istanbul et Trabzonspor.
L’effondrement de la livre turque, qui a perdu environ 30 % de sa valeur l’an dernier, a compliqué la donne pour ces clubs qui paient en euros les indemnités de transfert et les salaires des joueurs étrangers, alors qu’une grande partie de leurs revenus est en devise turque, explique Ferda Halicioglu, professeur d’économie à l’Université Istanbul Medeniyet.
Dernier exemple en date, celui du Portugais Ricardo Quaresma qui souhaite quitter Besiktas en raison des retards dans le versement de son salaire, selon la presse.
Mais si la conjoncture économique a exacerbé ces difficultés, celles-ci résultent en fait « d’années, de décennies de dépenses incontrôlées », souligne Emre Sarigül, co-fondateur du site spécialisé Turkish Football.
En cause, un manque de transparence et l’impunité des présidents de clubs qui, élus pour quelques années, ont tout intérêt à faire venir des joueurs confirmés pour satisfaire les supporters et récolter des résultats immédiats, au détriment d’un investissement à long terme.
Transition
Mais ce système, qui a mené au désastre actuel, pourrait toucher à sa fin: en échange de la restructuration de leurs dettes, les clubs turcs se sont engagés à présenter désormais un budget à l’équilibre et à ne pas contracter de nouveaux crédits.
« On assiste à la transition d’un système marqué par la mauvaise gestion, l’absence de responsabilités et le manque de vision à une structure plus professionnelle et organisée », souligne M. Sarigül.
Point positif, selon lui: les difficultés forcent les clubs à s’appuyer sur leurs jeunes qui gagnent ainsi en visibilité. Depuis 2015, souligne M. Sarigül, le nombre de talents turcs ayant rejoint l’Europe a explosé, comme Cengiz Under à l’AS Rome ou dernièrement Ozan Kabak (18 ans) à Stuttgart.
Signe qu’ils peuvent être raisonnables, les trois grands d’Istanbul ont surtout misé sur des prêts — Shinji Kagawa pour Besiktas, Kostas Mitroglou pour Galatasaray — pour se renforcer pendant la trêve hivernale, ménageant ainsi leur public et leurs finances.
Mais au-delà d’une restructuration des dettes qui « ne va pas régler leurs problèmes sur le long terme », l’économiste Ferda Halicioglu appelle à imposer des « règles financières strictes », avec par exemple des plafonds pour les transferts.
Le plus dur reste donc à faire et en l’absence de mesures fortes pour contraindre les clubs turcs à être plus raisonnables, la crise pourrait s’aggraver.
Pour Daghan Irak, sociologue du sport turc, la restructuration des dettes risque de renforcer le « sentiment d’immunité » des clubs en montrant que l’Etat fera tout pour éviter « la chute d’un grand club avec des millions de supporters et électeurs ».
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