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Lepetitjournal Istanbul, le 23/01/2022
La diva de la pop turque, Sezen Asku, est devenue ces derniers jours la cible de la frange conservatrice en Turquie, pour une chanson écrite il y a 5 ans, et dont les paroles sont considérées « blasphématoires ».
Sezen Aksu a partagé un clip de sa chanson de 2017 « Şahane Bir Åžey YaÅŸamak » (« C’est merveilleux d’être en vie ») sur sa chaîne YouTube le 30 décembre dernier, souhaitant une bonne année à ses abonnés. Dans cette chanson, figurent notamment les paroles suivantes :
« Nous voici sur des terres inconnues,
En route vers l’apocalypse(1),
Dites bonjour à cet ignorant,
Ève et Adam »(2).
Ce n’est que quelques jours plus tard que la polémique est née, enclenchant un duel entre soutiens et détracteurs de la chanteuse, avec notamment sur Twitter, une guerre des hashtags, #Sezenaksuhaddinibil (« Sezen Aksu reste à ta place ») contre #SezenAksuYalnizDegildir (« Sezen Aksu n’est pas seule »), le débat se politisant.
De nombreux artistes se sont mobilisés pour soutenir Sezen Aksu. La MESAM, une association qui soutient les droits des créateurs de musique, s’est notamment mobilisée pour soutenir la chanteuse, affirmant que les attaques contre elle étaient « inquiétantes ».
Une plainte a été déposée à Ankara contre la chanteuse pour « insulte aux valeurs religieuses ». En effet, le troisième alinéa de l’article 216(3) de la loi pénale turque prévoit de six mois à un an d’emprisonnement pour humiliation publique de « valeurs religieuses dont une partie de la population se revendique », à condition que cet acte soit susceptible de troubler l’ordre public(4).
Le RTÜK (Haut conseil de la radio et de la télévision), le « chien de garde » des médias turcs, a appelé les chaînes de télévision et de radio à ne pas diffuser la chanson litigieuse.
Le 21 janvier, lors d’une intervention à la prière du vendredi à la Grande mosquée de Çamlıca d’Istanbul, le président Erdogan a déclaré : « Personne ne peut diffamer notre prophète Adam. Il est de notre devoir de couper ces langues. Personne ne peut dire ces mots à notre mère Ève ».
En réponse à ces incriminations, samedi 22 janvier, Sezen Aksu a publié un texte intitulé « Chasseur ».
Ben Fransızca söyledim. Belki duyan olur : pic.twitter.com/5Xp5jQjp9m
— Samim Akgönül (@SamimAkgonul) January 22, 2022
En quelques heures, les paroles ont été traduites en 35 langues.
Sezen Aksu, une « super star », parfois décriée en Turquie
Surnommée « petit moineau », Sezen Aksu est reconnue comme star de la pop depuis le milieu des années 1970 en Turquie.
A l’étranger, elle a notamment collaboré avec le compositeur bosniaque Goran Bregovic et le réalisateur turco-allemand Fatih Akin. Et c’est elle qui a lancé des artistes tels que Tarkan (dont elle a écrit les paroles du hit Şımarık) et Sertab Erener.
En 2014, elle annonçait arrêter sa vie artistique.
Si sa voix fait l’unanimité en Turquie, son engagement politique a longtemps fait l’objet de critiques de la part des progressistes. Elle avait en effet soutenu le référendum de 2010 sur la réforme constitutionnelle, proposé par Recep Tayyip Erdogan, premier ministre à l’époque. Elle a finalement apporté son soutien aux protestations du parc de Gezi au printemps 2013, suite auxquelles elle avait dédié la chanson, « Yeni ve Yeni Kalanlar » en 2014.
Également très populaire auprès du mouvement LGBT, Sezen Aksu a publiquement déclaré soutenir les droits des homosexuels.
La liberté d’expression de nouveau en cause ces derniers jours en Turquie
La streameuse turque Pelin Baynazoğlu, alias Pqueen(5), fait actuellement l’objet d’une enquête pour « insulte au président »(6) et « incitation à la haine », après avoir partagé sur la plateforme Twitch une danse sur une chanson nationaliste. C’est à l’origine un citoyen qui a déposé une plainte contre elle auprès du Centre de communication de la présidence de Turquie (CİMER).
Par ailleurs, le 22 janvier, un tribunal turc a ordonné la mise en détention provisoire de la journaliste Sedef Kabaş pour « insulte au président ». Cette dernière a utilisé sur une chaîne de télévision (Tele 1) et sur son compte Twitter, le proverbe circassien : « Un bœuf entre dans le Palais, ça ne fait pas de lui un roi. Mais ça fait du Palais une étable ».
Ce lundi 24 janvier, le RTÜK a infligé une amende à la chaîne Tele 1, et suspendu pendant cinq semaines la diffusion de Demokrasi Arenası (« Arène de la démocratie »), programme dans lequel Sedef Kabaş intervenait vendredi dernier.
Depuis que Recep Tayyip Erdogan est devenu président en 2014, 160 169 enquêtes ont été ouvertes pour « insulte au président » ; 12 881 condamnations ont été prononcées. L’article 299 de la loi pénale turque prévoit une condamnation pouvant aller d’un à quatre ans d’emprisonnement pour ce délit.
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(1) « BinmiÅŸiz bir alamete, gidiyoruz kıyamete », dans les paroles de la chanson. En turc, « Bindik Bir Alamete Gidiyoruz Kıyamete » est un proverbe qui fait référence à des événements dont l’issue est incertaine. « Bindik Bir Alamete Gidiyoruz Kıyamete » est aussi le nom d’une chanson de Cem Karaca (1999).
(2) À noter que l’islam considère Adam comme le premier prophète, et se réfère à lui et Ève avec des titres honorifiques religieux (« Hz », pour Hazreti – « Sa sainteté »).
(3) C’est sur le fondement de cet article qu’une enquête avait été ouverte début 2021, contre deux étudiants LGBT (qualifiés de « déviants » à l’époque par Süleyman Soylu, le ministre de l’Intérieur) pour avoir (dans le cadre d’une exposition) posé au sol une image représentant la Kaaba, le drapeau LGBT peint dessus.
(4) Pour aller plus loin sur le thème de la répression du blasphème en Turquie, cliquer ICI.
(5) Pqueen avait fait un stream avec le maire d’Ankara Mansur YavaÅŸ en mars 2021, lors duquel le record de Twitch Turquie avait été battu, avec plus de 350 000 téléspectateurs simultanément.
(6) C’est en raison de la publication d’une vidéo par un de ses fans sur le réseau social Tiktok, se moquant du chef de l’État turc, qu’elle fait l’objet de l’enquête pour « insulte au président ».
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