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euronews, le 19/12/2022
Par Aylin Elci
Discussion
Le président turc Recep Tayyip ErdoÄŸan (à g.) et son homologue français Emmanuel Macron, au sommet de l’OTAN – Madrid (Espagne), le 29/06/2022 – Tous droits réservés Bertrand Guay/AP
Le président français Emmanuel Macron participe ce mardi 20 décembre à la deuxième édition d’un sommet sur la souveraineté de l’Irak. L’événement se déroule en Jordanie, en présence des pays du Moyen-Orient (Irak, Jordanie, Egypte, Arabie Saoudite, Iran, Qatar, Koweït, Émirats Arabes Unis, Oman et Bahreïn) et la Turquie.
Selon un communiqué de l’Elysée, ce sommet « Bagdad II » se concentrera sur la « montée des tensions » dans la région, alors que la Turquie poursuit une opération aérienne contre les forces kurdes en Irak et en Syrie. Ankara considère ces forces kurdes responsables de l’attentat terroriste du 13 octobre à Istanbul.
L’Égypte, la Jordanie et l’Irak ont confirmé leur participation à l’évènement et ont déclaré espérer que la Turquie et l’Iran y participeront aussi, comme elles l’avaient fait lors de la première édition du sommet en août 2021 à Bagdad.
Seule la France a confirmé sa participation en dehors de ces trois pays, mais un responsable de l’ambassade turque à Paris a déclaré à euronews que l’évènement serait « mort-né » si la Turquie ne s’y rendait pas.
Les tensions entre Paris et Ankara
Plusieurs sujets sont sources de divergences, voire de crispations entre la France et la Turquie :
– la situation dans le Haut-Karabakh
– la division de Chypre
– l’instabilité en Libye
– l’influence stratégique sur le continent africain
Le point de crispation le plus important est actuellement le traitement des milices kurdes en Syrie et en Irak. Ankara qualifie ces milices de « terroristes ». De son côté, la France estime que le groupe Unité de protection du peuple YGP n’en est pas une car cette milice a éradiqué l’Etat Islamique.
« Nous combattons le Parti des travailleurs du Kurdistan [reconnu comme terroriste par l’UE] et tous ceux qui mènent ces activités terroristes contre la Turquie mais nous ne faisons pas ce raccourci ou cette agrégation que la Turquie souhaite entre ces différents groupes politiques et/ou militaires. Là il y a un désaccord et il n’est pas levé », avait déclaré Emmanuel Macron en 2019, à l’issue d’un sommet de l’OTAN.
Dorothée Schmid est spécialiste de la région à l’Institut français des relations internationales (IFRI) à Paris. Pour cette chercheuse, ce n’est sans doute pas la meilleure temporalité pour ce rendez-vous diplomatique.
« Je ne vois pas très bien ce que les Français peuvent obtenir de ce sommet. La dernière fois, le bénéfice a été surtout un bénéfice d’image pour Emmanuel Macron qui posait au milieu des leaders régionaux », a-t-elle déclaré à euronews.
Selon elle, la Turquie a beaucoup plus d’expérience dans la région que la France, car elle est habituée aux conflits à ses frontières depuis 20 ans. Pour autant, la chercheuse estime que la politique étrangère d’Ankara est vague.
« Le gouvernement turc n’a pas de plan, à part affirmer la puissance de la Turquie », a-t-elle expliqué. Et de poursuivre : « la priorité pour Erdogan, c’est le centenaire de la république turque, c’est de montrer qu’il a transformé la Turquie et qu’il est maître de la Turquie. D’une certaine façon, la politique étrangère est mise au service de cette politique intérieure ».
Une rivalité sur fond de guerre en Ukraine
Didier Billion est directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et l’auteur de La Turquie – Un partenaire incontournable. Il estime que la rivalité entre la France et la Turquie a pris de l’ampleur avec la guerre en Ukraine.
« Cela n’a échappé à personne que le rôle qu’Emmanuel Macron aurait bien voulu tenir, est en fait tenu par le président Erdogan » a-t-il déclaré à euronews.
D’après ce chercheur, l’accord sur les céréales, négocié par le président turc, lui donne un avantage sur la France, mais la Turquie ne pourra pas, à elle seule, négocier un accord de paix entre la Russie et l’Ukraine.
Conformément à la résolution adoptée par la Turquie, l’ONU, la Fédération de Russie et l’Ukraine, l’initiative sur les céréales de la mer Noire a été prolongée de 120 jours à compter du 19 novembre 2022, à la suite des discussions quadrilatérales organisées par la Turquie.
« Les choses vont mieux qu’il y a deux ans [entre la France et la Turquie] mais ce n’est pas suffisant. La base d’une relation, c’est de prendre un certain nombre de dossiers [comme la guerre en Ukraine], et mettre en Å“uvre des politiques de coopérations très concrètes. C’est la seule façon de redresser cette relation qui en a bien besoin », a déclaré le directeur adjoint de l’IRIS.
D’après Dorothée Schmid de l’IFRI, la France commet une erreur de jugement qui lui coûte une relation précieuse : « la France sous-estime le rôle, la puissance et la place de la Turquie. C’est très difficile pour les Français de s’imaginer qu’ils ont à faire à une puissance qu’ils considèrent comme de second rang ».
Les deux experts français estiment que le rôle que la Turquie a endossé dans les évènements récents tels que la crise des migrants lui a été bénéfique. « Erdogan joue plutôt bien diplomatiquement », estime ainsi Didier Billion. Il conclut : « qu’on aime ou pas la Turquie, il faut faire avec ».
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