Une ambiguïté longtemps entretenue avec Daech
Le tournant a été pris en 2014-2015. Jusqu’alors, les Turcs manifestaient une certaine complaisance vis-à -vis de l’État islamique. Celui-ci avait l’avantage d’empêcher la constitution d’une zone autonome dans le nord de la Syrie, le long de la frontière avec la Turquie, au profit des Kurdes de Syrie du parti YPG considéré par Ankara comme une succursale du PKK. Daech luttait aussi contre Bachar el-Assad qui, après les printemps arabes, était devenu un adversaire d’Erdogan après en avoir été un partenaire sinon un allié.
Le tournant du coup d’État
Avec la Russie, les relations se sont tendues fin 2015 après que la chasse turque eut abattu un avion russe qui s’était égaré pendant quelques secondes dans leur espace aérien. Après avoir échangé quelques paroles musclées avec Vladimir Poutine, Erdogan a dû aller à Canossa et présenter ses excuses, non pas à la Russie mais aux familles de deux pilotes abattus, a-t-il tenu à préciser comme pour atténuer son humiliation. Entretemps, il a trouvé les responsables: le pilote turc était un partisan de Gülen.Vladimir Poutine est le premier chef d’État étranger à avoir assuré Erdogan de son soutien après la tentative de putsch, au contraire des Occidentaux qui ne se sont pas précipités. Le président turc leur en veut et accuse même à mots couverts la CIA d’avoir trempé dans le complot. Le rapprochement avec la Russie avait commencé avant mais il s’est accéléré depuis juillet dernier. Erdogan compense ses mauvaises relations avec ses alliés traditionnels de l’Otan en coopérant avec la Russie et avec l’Iran. Il le fait toutefois à partir d’une position de faiblesse dont profite Moscou.
Poutine au centre du jeu
Dans la corbeille, la Turquie apporte des liens avec quelques groupes rebelles qui peuvent garnir l’opposition à Assad dont la Russie a besoin pour donner quelque légitimité à sa tentative de solution négociée. Elle obtient ce qui compte le plus pour elle, la garantie qu’il n’y aura pas de région autonome kurde sur sa frontière méridionale. En contrepartie, elle accepte le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad, soutenu par l’Iran, la puissance chiite de la région qui enterre les prétentions d’Erdogan à régner sur le monde arabo-musulman. Et elle enfonce un coin dans l’Alliance atlantique pour la plus grande satisfaction de Vladimir Poutine.