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Le Monde, le 21/12/2023
Par Noé Hochet-Bodin (Nairobi, correspondance)
Rapidement relâché par la police d’Istanbul après avoir tué un coursier sur une autoroute, Mohamed Hassan Cheikh s’est envolé pour Dubaï. Un mandat d’arrêt international pour « homicide involontaire » a été émis à son encontre.
La réélection du président turc Recep Tayyip Erdogan, le 28 mai 2023, a été célébrée dans les rues de Mogadiscio, en Somalie, dès le lendemain. HASSAN ALI ELMI / AFP
La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux turcs depuis sa publication, le 8 décembre, par le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, et a déclenché un feuilleton diplomatico-judiciaire entre la Turquie et la Somalie. Sur les images datées du 30 novembre, celles d’une caméra de surveillance installée au-dessus d’une autoroute des environs de la capitale économique turque, on voit tout à coup une berline percuter violemment un coursier à scooter sur la bande d’arrêt d’urgence. Gravement blessé, l’homme au deux-roues, Yunus Emre Gocer, 38 ans, succombera à ses blessures six jours plus tard.
Arrivées rapidement sur les lieux, les forces de l’ordre notent que la voiture a une plaque diplomatique aux couleurs de la Somalie. Ils arrêtent le chauffeur, qui se révèle être un VIP : le fils du président somalien Hassan Cheikh Mohamoud. Malgré la gravité de l’accident, l’homme de 40 ans est rapidement libéré et prend un avion pour son domicile, à Dubaï.
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« Une évasion », selon certaines personnalités turques, qui s’offusquent de la bienveillance dont Mohamed Hassan Cheikh a bénéficié. « Malheureusement, la mentalité qui a permis cette évasion prouve qu’elle est incapable de défendre les droits de ses propres citoyens dans leur propre pays », accuse, sur les réseaux sociaux, le maire d’Istanbul, membre du parti d’opposition CHP. Le départ précipité du fils du président somalien est vécu comme un passe-droit. D’autant que Mohamed Hassan Cheikh n’avait en théorie pas le droit de conduire ce type de véhicule car il ne fait pas partie du personnel de l’ambassade. La justice s’en est mêlé : un mandat d’arrêt international pour « homicide involontaire » et une interdiction de voyager ont été prononcés contre le fils du président le 8 décembre.
Ce dossier épineux met les deux pays dans l’embarras. La Turquie a investi depuis une décennie en Somalie, jusqu’à en devenir le premier partenaire commercial. Le président Recep Tayyip Erdogan met en œuvre un activisme très dynamique, mêlant partenariat économique et soutien militaire à Mogadiscio – les forces spéciales somaliennes sont formées par les Turcs –, considérant la Somalie comme une porte d’entrée sur le reste de l’Afrique. Il y a ouvert la plus grande ambassade et la plus grande base militaire turques à l’étranger.
« Mauvaise publicité »
Le président somalien a dû se plier à un étrange exercice de communication en marge d’un déplacement hautement symbolique à New York, aux Nations unies, où était votée la levée de l’embargo sur les armes en Somalie. « C’était un accident. Il n’a pas fui. Il est resté plusieurs jours sur place et a fait appel à un avocat. Je lui parle, je lui dis qu’il serait maintenant mieux d’y retourner mais c’est lui qui prendra la décision finale. La Turquie est un pays ami, nous respectons ses lois », a expliqué, le 14 décembre, Hassan Cheikh Mohamoud pour éteindre l’incendie.
Le partenariat turco-somalien pourrait-il pâtir de cet accident ? L’ancien ambassadeur turc à Mogadiscio, Dr Kani Torun, est sorti de son silence pour exhorter le président somalien à faire face à ses responsabilités. « Votre fils a tué un coursier et s’est enfui. Cela doit apparaître injuste à un musulman dévoué comme vous, et cela constitue une mauvaise publicité pour la Somalie », a-t-il écrit sur le réseau social X (anciennement Twitter), réclamant l’extradition de l’accusé vers la Turquie.
Le ministre de la justice turc, Yilmaz Tunc, s’est entretenu en privé avec les autorités judiciaires somaliennes et assure que l’accusé rentrera en Turquie « dans les prochains jours » et qu’un « procès aura bien lieu » sans apporter de détails. Ankara se trouve dans une position délicate, à la fois obligé de composer avec son plus proche allié en Afrique tout en tenant compte de l’image que cette affaire peut laisser aux électeurs six mois avant les élections locales de juin 2024.
Pour Hassan Cheikh Mohamoud, l’imbroglio d’Istanbul obscurcit un moment de grâce politique. En moins d’un mois, le président somalien avait obtenu trois victoires majeures sur le front diplomatique. Son pays, la Somalie, a successivement intégré la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC), a vu un embargo sur les armes lui étant livrées vieux de trente ans être levé et a obtenu un allègement de la dette de 4,5 milliards de dollars (4 milliards d’euros) par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
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