En froid avec les Européens malgré des liens économiques et politiques très forts, la Turquie d’Erdogan est également en panne dans sa stratégie en Syrie.

 

«  On peut voir ça comme cela », a répondu laconiquement mardi le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, interrogé sur le risque que le référendum de dimanche ouvre la voie à une dictature en Turquie. Les pays de l’Union européenne sont inquiets de l’évolution du régime turc. Pas seulement parce que le président Erdogan a traité Allemands et Néerlandais de nazis pour ne pas l’avoir autorisé à tenir des meetings électoraux chez eux. Mais parce que chaque décision ou prise de position d’Ankara semble tourner le dos à l’Europe en ce moment.

 

Une « folie », estime un économiste, puisque l’Union absorbe la moitié des exportations de la Turquie et fournit les trois quarts de ses investissements, cruciaux pour combler le déficit de la balance des paiements qui est supérieur à 5 % du PIB. La concentration des pouvoirs est aux antipodes des conceptions européennes et la campagne référendaire a été totalement déséquilibrée, fustige la Commission de Venise, un organe du Conseil de l’Europe, dans un rapport qui a fuité récemment.

 

La victoire du « non » dimanche «  serait perçue à Bruxelles comme une réaction de la société turque à une détérioration des normes démocratiques », estime Sinan ülgen, directeur du think tank Edam. Qui met en garde contre une riposte trop forte de l’Union en cas de victoire du « oui », car il ne lui resterait alors plus de levier pour influencer le régime. L’appât d’une intégration européenne «  a toujours joué un rôle positif sur la Turquie, poussant notamment aux réformes structurelles qui ont nourri la croissance euphorique de 2003-2007 », ajoute Haluk Tukel, ancien président de l’Institut du Bosphore. En outre, l’Europe a besoin qu’Ankara continue d’appliquer l’accord signé il y a un an sur les réfugiés syriens, dont trois millions vivent en Turquie, même si une dénonciation de l’accord serait moins grave qu’en 2015, nombre de réfugiés syriens ayant fait souche en Turquie ou sont informés des difficultés d’intégration dans une Union qui a de surcroît fermé les routes.

 

La Syrie illustre l’autre impasse internationale dans laquelle se trouve le pays. Cinq ans après avoir rêvé de renverser Bachar Al Assad, Recep Erdogan ne peut que constater l’échec de sa stratégie, illustrée par la décision récente d’achever l’intervention militaire « Bouclier de l’Euphrate ». Ses troupes se sont retrouvées bloquées dans la région de Manbij par des «  zones tampons » instaurées par Russes et Américains qui semblent s’être répartis la tâche de manière informelle, selon un observateur à Istanbul : la prise de Raqqa, la capitale de Daech, aux rebelles kurdes des YPG soutenus par Washington, et la survie du régime dans la Syrie «  utile », à l’ouest et au nord, pour Moscou.

Changer son fusil d’épaule

Mais le raid américain après l’utilisation d’armes chimiques par Damas la semaine dernière semble avoir poussé Ankara à changer son fusil d’épaule. Il a approuvé l’action de Donald Trump et compte participer à la prise de Raqqa, quitte à se coordonner avec ce qui reste pourtant son ennemi numéro un, les YPG, alliés au PKK, les séparatistes kurdes en Turquie. Ce n’est pas la première fois que Erdogan ajuste sa stratégie. Après avoir été longtemps complaisant envers Daech, il a fermé la frontière par laquelle les djihadistes s’approvisionnaient en hommes et en armes.