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Le Petit Journal d’Istanbul, le 14/12/2023
par Pauline Sorain
Ambassadrice de France en Ukraine puis à Chypre, avant d’être conseillère du Président de la République pour l’Europe continentale et la Turquie, Isabelle Dumont a pris fonction cet automne en tant qu’Ambassadrice de France en Turquie. Elle nous parle de son parcours et de sa mission dans ce pays avec lequel elle entretient depuis longtemps un lien intime.
La Turquie est un pays très important pour la France, nous avons des relations historiques profondes, des liens culturels étroits.
Pauline Sorain : Madame l’Ambassadrice, vous avez été nommée par décret le 11 août 2023. Comment s’est passée votre prise de poste et quelles sont vos premières impressions à Ankara ?
S. E. Madame Isabelle Dumont : Ma prise de poste s’est très bien passée, j’ai été bien accueillie par les autorités turques, j’ai pu, dès le lendemain de mon arrivée, voir le chef du protocole et le vice-ministre des affaires étrangères. J’ai pu remettre mes lettres de créances rapidement au président Erdoğan le 27 septembre. La Turquie est un pays très important pour la France, nous avons des relations historiques profondes, des liens culturels étroits. C’est un pays très grand, très complexe et très divers. Je sais que je m’adresse à vous et à vos lecteurs qui connaissent bien ce pays, sa diversité de population, d’habitudes, de traditions. C’est un honneur pour moi de représenter la France dans ce pays. Pour avoir effectué plusieurs séjours ici, dont le dernier en tant que conseillère politique à l’Ambassade de France il y a exactement dix ans. Je remarque aussi que la Turquie s’est beaucoup transformée ces dernières années, de tout point de vue. C’est une transformation que nous devons apprendre tous ensemble à mieux connaître.
La communauté française a la chance ici en Turquie de bénéficier d’un terreau très favorable à la France et aux Français.
Quelles sont les grandes orientations de votre lettre de mission, quelles sont vos priorités, vos grands dossiers pour les mois à venir ?
D’abord il y a une volonté, je crois, commune des deux pays à développer nos relations, en particulier sur le plan économique. Ces relations sont importantes et elles n’ont cessé de croître ces dernières années, malgré les tumultes politiques, pour atteindre aujourd’hui les 20Md€ de commerce bilatéral. Mais nous pouvons faire mieux. Il est certain que plus les relations politiques seront apaisées et stables, plus il y aura de visibilité économique et politique pour les entrepreneurs, plus ce sera propice au développement d’échanges commerciaux entre les deux pays.
Nous avons aussi beaucoup à faire sur le plan culturel et éducatif, la communauté française a la chance ici en Turquie de bénéficier d’un terreau très favorable à la France et aux Français, y compris sur le plan de la francophonie, avec une présence francophone importante et ancienne. C’est une richesse pour les deux pays. L’une de mes priorités est donc de préserver et développer ce lien et tous les outils de la francophonie.
Il nous faut naturellement, comme je le disais, mieux comprendre la Turquie, cela fait partie intégrante de ma mission ici. C’est un défi car ce pays évolue vite et nous devons mettre à jour notre compréhension des choses. Au-delà , il faut aussi que la Turquie comprenne la France, qui évolue également. Cette compréhension doit donc être réciproque. Pour cela, notre action sur le plan culturel est utile, et je veux saluer l’Institut français en Turquie et les équipes du Service de coopération et d’action culturelle, qui font un travail remarquable.
Toute mon enfance a été marquée par la Turquie.
Au sein d’un riche parcours, vous avez un lien particulier avec la Turquie, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Je vais vous donner un exemple très concret. Alors que j’étais reçue il y a quelques jours dans un entretien officiel, on m’a offert, comme souvent en Turquie, de l’eau de Cologne dans le creux de mes mains. Lorsque j’ai senti l’odeur qui se dégageait, c’est mon enfance qui m’est immédiatement revenue. Lorsque j’étais enfant, à la maison, alors que nous habitions en banlieue parisienne, nous utilisions la même eau de Cologne. En réalité toute mon enfance a été marquée par la Turquie, par les odeurs, mais aussi par la musique turque que j’ai beaucoup écoutée et qui fait qu’aujourd’hui, quand je marche dans la rue, ou lorsque je suis à une terrasse de café et que j’entends de la musique turque, cela fait remonter des souvenirs. Il n’y a pas une autre musique dans le monde qui me fait cet effet-là . Je me sens immédiatement chez moi. Même quarante ans plus tard.
Pourquoi ce sentiment ? Pour parler de mon histoire familiale, ma grand-mère était une réfugiée russe et s’est retrouvée à Istanbul au début du siècle dernier. Mon père est né et a grandi en Turquie. Il est ensuite venu en France pour étudier. Mais il est resté très proche de la Turquie, puisqu’il est devenu turcologue et a passé sa vie à vivre entre les deux pays. Il continue d’ailleurs à le faire !
Et donc, si pour ma part je suis née, j’ai grandi et été élevée dans une famille française, du fait des allers-retours de mon père je vivais par procuration en Turquie. J’ai par ailleurs effectué beaucoup de voyages dans ce pays. C’est donc très particulier pour moi d’occuper les fonctions d’Ambassadrice de France en Turquie.
Je suis la première femme ambassadrice de France en Turquie. C’est une fierté.
Vous êtes la première femme ambassadrice de France en Turquie depuis près de 500 ans de relations diplomatiques, souhaitez-vous nous dire un mot à ce sujet ?
Comme je vous l’ai dit, ce qui est particulier relève d’abord et avant tout de mon parcours personnel. Mais s’y ajoute une deuxième émotion, puisque je suis la première femme ambassadrice de France en Turquie. C’est une fierté.
Cela étant, votre question souligne l’importance des efforts restants à faire dans ce domaine. Je vous réponds sans problème, la même question m’a d’ailleurs déjà été posée en Ukraine et à Chypre, lorsque j’ai été nommée ambassadrice dans ces pays. Mais j’espère être encore suffisamment jeune pour voir le jour où ce type de question ne serait plus posée aux femmes. Là nous aurons atteint quelque chose qui ressemble à de l’égalité.
Imagineriez-vous un journaliste qui demanderait à un ambassadeur : « En tant qu’homme, qu’est-ce que cela vous fait d’être ambassadeur ? ». Le plus probable est que l’ambassadeur ne comprendrait même pas la question. Moi, malheureusement, dès que le mot « femme » est prononcé, je sais immédiatement ce qu’on va me demander.
À tous nos compatriotes, je veux dire que l’Ambassade de France reste à leurs côtés.
Que souhaitez-vous dire aux Français qui habitent en Turquie ?
Qu’ils ont la chance de vivre dans un pays passionnant. Je sais aussi que le quotidien n’est pas toujours facile, sur le plan économique ou sécuritaire notamment, avec de nombreuses incertitudes pour beaucoup de nos compatriotes, qui font face aux mêmes défis du quotidien que tout le monde ici. A tous nos compatriotes, je veux dire que l’Ambassade de France reste à leurs côtés, pour l’ensemble de leurs démarches et face aux défis de ce monde. Avec toute mon équipe, nous continuerons à les accompagner en 2024. J’en profite alors que nous sommes à quelques jours des fêtes, pour souhaiter un joyeux Noël à ceux qui le fêtent et de très bonnes fêtes de fin d’année à tous !
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