Il m’a d’abord annoncé une somme entre 27 000 et 30 000 euros avec la “garantie” qu’il fasse sortir la femme du camp et l’emmène jusqu’à Reyhanli [une ville turque frontalière]. “En cas de dépenses imprévues, l’acheminement jusqu’à Reyhanli pourra s’élever jusqu’à 45 000 euros”, m’a-t-il néanmoins prévenu, en m’expliquant qu’il pourrait ensuite, si je le voulais, s’occuper également de son voyage vers l’Europe.

Peu de temps après, Hauq m’a contactée en m’informant que des hommes de HTS prévoyaient de faire sortir le soir même une femme et deux enfants du camp et qu’ils pouvaient dans le même temps faire sortir mon épouse ouïgoure si je le souhaitais. Je lui ai répondu que j’avais besoin d’un peu de temps pour réunir la somme.

“Demande de l’aide à quelqu’un de ta famille pour créer un compte en cryptomonnaies et envoie 25 000 euros sur mon compte”, m’a-t-il demandé, en m’expliquant devoir en donner 15 000 aux militants chargés de l’évasion.

Je lui ai répondu que je n’y connaissais rien en cryptomonnaies et que je ne voulais pas demander de l’aide à mon fils. Il m’a immédiatement proposé une solution de rechange : “Mon oncle [formule de politesse], demande à une personne de confiance de se rendre à Gaziantep [grande ville turque non loin de la frontière avec la Syrie] et de déposer l’argent à [il me donne le nom d’une boutique vendant des vêtements islamiques]. Ensuite ils nous enverront l’argent par la hawala [un système traditionnel de paiement informel assez utilisé dans la région et très prisé par les djihadistes, puisqu’il permet d’échapper au circuit bancaire].”

 

“Les choses se font dans l’ordre”

Face à son insistance pour que j’envoie l’argent rapidement afin de permettre l’évasion le soir même, j’ai essayé de temporiser. Il m’a alors donné un autre numéro de téléphone et le nom d’un certain Isa, qu’il m’a présenté comme étant un Turc vivant en Europe chargé notamment des transferts d’argent vers l’Europe.

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Isa devait venir récupérer l’argent liquide en main propre puis le convertir en cryptomonnaies et s’occuper du transfert, mais je devais cette fois m’acquitter de 6 000 euros de frais “puisqu’il prenait des risques en tant que citoyen turc vivant en Europe en envoyant une telle somme”.

Hauq m’a demandé de me rendre à l’agence bancaire de la ville où j’étais censée me trouver, de retirer l’argent, de le prendre en photo et d’attendre Isa sur place. Toutes les trois minutes, un nouveau message de Hauq me demandait si j’avais retiré la somme et me disait qu’Isa était en chemin pour la récupérer.

Je lui ai alors expliqué que j’attendais encore dans l’agence de pouvoir retirer l’argent, et je ne lui ai pas donné de réponse pendant vingt minutes. Il est alors devenu suspicieux et a commencé à effacer nos messages sur l’application. Je n’ai pas pu obtenir d’informations sur la méthode qu’il utilisait pour faire passer ensuite les prisonnières de la Turquie à l’Europe, car il a écarté toutes mes questions à ce sujet.

“Les choses se font dans l’ordre : d’abord tu retrouves ta femme en Turquie, ensuite nous discuterons de comment l’emmener en Europe”, a-t-il répondu en balayant la question.

Les trois femmes échappées du camp que j’ai interrogées m’expliquent qu’elles avaient perdu tout espoir de sortir du camp par un autre biais que le mariage et l’évasion. L’une d’entre elles, qui est parvenue à s’enfuir, vit désormais en Ouzbékistan, non pas avec l’homme avec qui elle s’est mariée au téléphone mais avec le militant ouzbek de HTS qui l’a sortie du camp et avec qui elle me dit vivre “le premier vrai amour de [sa] vie”.

Âgée de 34 ans et originaire d’Ankara, elle a donné naissance à son premier enfant en Syrie, où son premier mari, djihadiste, est mort dans les combats. Elle a ensuite eu un deuxième enfant d’un mariage avec un djihadiste égyptien de l’État islamique. Elle dit ne pas avoir renoncé à son idéologie et toujours croire “qu’un État islamique finira par voir le jour”.