Défense. La Turquie inaugure le premier navire porte-drones au monde

Courrier international, le 12/04/2023

La mise en service du nouveau navire amiral de la flotte turque est présentée comme une victoire par le gouvernement. Elle rappelle aussi l’échec d’Ankara à se procurer des avions de combat américains F-35.

Le président Erdogan, ici lors de l’inauguration de l’“Anadolu” le 10 avril 2023, s’est saisi de l’occasion pour vanter les mérites de sa politique industrielle de défense et dépeindre une Turquie assiégée et jalousée mais forte, à la veille des élections cruciales du 14 mai. Photo MURAT CETINMUHURDAR/PPO/REUTERS

Inauguré le lundi 10 avril, le TGC Anadolu est devenu le premier navire porte-drones du monde. Long de 231 mètres pour 32 mètres de largeur, il servira de moyen de transport et de piste d’envol et d’atterrissage pour les drones et les hélicoptères de l’armée turque (avec jusqu’à 10 hélicoptères ou 11 drones de combat sur le pont d’envol).

Le navire devra ainsi accueillir le nouveau drone armé TB3 en 2024, puis le Kizilema, dernier prototype de drone turc encore à l’essai, a déclaré le président de la firme Baykar, gendre du président Erdogan et patron du programme de drones turc, Selçuk Bayraktar.

“L’Empire ottoman a perdu la Crimée contre les Russes puis les Balkans à cause du retard technologique de son armée”, écrit un éditorialiste du quotidien islamiste Yeni Akit, qui se réjouit.

“Depuis, nous étions restés faibles dans ce domaine, contraints d’acheter nos armes chez nos ennemis en Occident, mais la Turquie a ces dernières années développé ses propres technologies à une vitesse remarquable.”

“La Turquie fait désormais partie des dix pays dans le monde capable de dessiner, de développer et de construire leurs propres navires !” s’est félicité le président Recep Tayyip Erdogan, rapporte le quotidien Habertürk, oubliant un peu vite que les plans du navire ont été copiés avec l’aide d’ingénieurs espagnols sur le modèle du porte-aéronefs Juan Carlos.

La livraison du nouveau navire amiral de la flotte turque tombe à pic pour le président turc, qui a procédé à l’inauguration en compagnie de ses nouveaux alliés islamistes du Hüda-Par et du YRP, et de son vieil allié d’extrême droite du MHP. L’occasion de tenter de flatter un électorat nationaliste qui pourrait être tenté de se détourner de sa coalition pour l’élection présidentielle à venir le 14 mai.

Un pis-aller pour cause d’embargo américain

Mais la presse d’opposition n’est pas aussi prompte à se réjouir : “On veut faire passer ça pour un porte-avions dans l’opinion publique, et puis quoi encore ? Pourquoi pas un navire volant ?” ironise le quotidien Sözcü, qui rappelle que le navire était à l’origine spécialement conçu pour les avions de combat de dernière génération F-35. Mais la Turquie a été écartée du programme par les États-Unis en raison de son rapprochement avec Moscou et de l’achat de missiles antiaériens russes S-400.

La piste d’envol n’étant pas adaptée aux F-16 détenus actuellement par la Turquie, il a donc fallu inventer un nouvel usage pour le vaisseau.

La mise en service de l’Anadolu intervient notamment dans le cadre des tensions en Méditerranée orientale, en particulier avec Chypre et la Grèce. Malgré une période de détente récente, la course aux armements se poursuit entre les deux voisins, relève le quotidien Milliyet, qui signale qu’Athènes vient notamment d’acquérir, pour 370 millions d’euros, le système de missiles israélien Spike NLOS.

La Turquie est confrontée depuis plusieurs années à des politiques d’embargo total ou partiel pour ses importations militaires, en raison notamment des invasions qu’elle a orchestrées contre les Kurdes dans le nord de la Syrie, ou de son implication dans le conflit du Haut-Karabakh ou en Libye.

Ces obstacles ont poussé le pays à investir avec succès dans son industrie de défense. En 2022, le montant des exportations turques dans le domaine a atteint le montant record de 4,4 milliards de dollars, sur un volume de plus de 100 milliards de dollars pour le commerce mondial des armes, rapporte le quotidien économique Dünya.

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