Au Mali, la Turquie dévoile son arsenal et s’impose comme nouveau fournisseur stratégique du Sahel

Challenges, le 14/12/2025

Adrien Marotte
 
L’industrie de défense turque équipe de plus en plus massivement les armées de l’Afrique de l’Ouest, à commencer par le Mali. Les services paramilitaires s’installent également.

Le salon BAMEX qui s’est tenu à la mi-novembre à Bamako a permis à la Turquie de déployer son offre en matière de défenses, à commencer par le domaine des drones. / Agence Anadolu

Le premier Salon Bamako Expo (BAMEX’25), entièrement dédié à l’industrie de défense turque, a ostensiblement démontré à la mi-novembre la percée que réalise Ankara parmi les pays du Sahel. Les plus grands acteurs du secteur, de Baykar à ASELSAN en passant par Roketsan, MKE, STM ou encore Sarsılmaz, y ont présenté leurs systèmes d’armes, drones, capteurs et solutions de communication. Tout un symbole sur les besoins en matière de défense : le salon se déroulait alors que la capitale du Mali était frappée par un blocus djihadiste inédit sur le carburant – poussant plusieurs chancelleries occidentales à recommander à leurs ressortissants de quitter le pays.

Dans ce contexte, la Turquie affiche ses ambitions et témoigne sa volonté de devenir un partenaire clé pour les États du Sahel en quête d’autonomie sécuritaire. Ankara et ses industriels ont l’avantage d’offrir une troisième voie entre des forces occidentales sur le départ et la montée en puissance de la Russie dans la région.

La proposition turque repose sur un modèle qui séduit les juntes sahéliennes : livraison rapide de matériels, systèmes de drones prêts à l’emploi, équipes de formation, maintenance… En outre, l’offre s’accompagne d’entreprises privées capables de fournir des « services de sécurité ». Les démonstrations du salon de Bamako, où les industriels turcs ont simulé des opérations aériennes et des chaînes de commandement intégrées, ont fourni une illustration du savoir-faire turc et de son offre disponible.

Commandes de drones

Symbole de cette stratégie, l’entreprise familiale Baykar, dirigée par Selçuk Bayraktar — par ailleurs gendre du président turc – a tissé des relations étroites avec le Mali. Dès 2022, Bamako a commencé à réceptionner des drones Bayraktar TB-2 – cet aéronef sans pilote qui a fait décoller les exportations de la firme turque, avec une mise en œuvre opérationnelle de la Libye à l’Ukraine. Fin 2024, l’armée malienne a reçu ses premiers drones Akinci, une arme de longue endurance qui constitue un saut capacitaire majeur en termes de frappe et de surveillance.

Ces drones permettent notamment aux Etats clients d’éviter d’engager massivement des troupes au sol, un terrain qui peut leur être défavorable dans le cadre d’une guerre asymétrique. Fin juillet 2024, les forces maliennes avaient ainsi subi de lourdes pertes à Tinzaouatène dans des combats contre les rebelles touaregs et les djihadistes du JNIM.
 
 
La montée en puissance turque repose sur une base industrielle solide : les exportations du secteur de la défense ont atteint 7,1 milliards de dollars en 2024 et pourraient atteindre un nouveau record historique de 8 milliards en 2025. Et dans ce cadre en 2024, la Turquie pèse 11 % des importations en matière de défense de l’Afrique de l’Ouest, se positionnant comme 4e fournisseur d’armement, derrière la Chine, la Russie et la France, en 2024. Cette part de l’Afrique est en croissance années après année.

Groupes paramilitaires

À côté des grands groupes industriels, des acteurs privés complètent l’écosystème. Le groupe paramilitaire SADAT apparaît régulièrement dans les enquêtes et témoignages comme un instrument discret de projection d’influence militaire pour des formations, des protections de sites. Au Mali, plusieurs sources locales affirment que la société fondée par l’ex-général Adnan Tanriverdi, proche conseiller du président turc Recep Tayyip Erdogan, contribue à la sécurité du chef de la junte malienne, Assimi Goïta.

Aucune confirmation officielle n’est venue l’étayer, mais ces allégations participent à entretenir le flou autour du rôle exact de ces prestataires paramilitaires dans la région. SADAT a l’avantage, là aussi, de permettre à Bamako de maintenir une distance avec les paramilitaires Russes, notamment Africa Corps, nouveau nom de la milice Wagner au Sahel. La société turque serait également active au Niger.

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