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rtbf (Belgique), le 02/07/2023
Par Tania Markovic via La Première
© Kenzo Tribouillard/ Getty images
Asli Erdogan est une écrivaine turque reconnue internationalement. En 2016 elle est arrêtée, accusée de « propagande terroriste » pour des chroniques publiées dans un journal pro-kurde. Elle a passé près de 130 jours en prison et devient un symbole de la répression de la liberté d’expression. Dans une partie de l’opinion publique turque, elle est perçue comme une icône de la résistance. Une opinion largement répandue en Europe où elle a trouvé refuge. Elle considère cette reconnaissance comme « une lourde croix qu’elle porte sur son dos » et se défend d’être une héroïne, elle, si timide et discrète, à la voix douce et la silhouette fluette, amaigrie par la maladie et le chagrin de l’exil.
Engagée, Asli Erdogan se sert de sa voix et de sa plume pour porter un message fort sur la situation de son pays quand tant d’autres sont bâillonnés par le régime de Recep Tayyip Erdogan, son homonyme, homme fort du pays depuis 2003. Comme souvent dans l’Histoire, ceux qui s’élèvent contre les dérives du pouvoir y sont réduits au silence. Parfois la mise à mort est symbolique : on ôte toute crédibilité aux opposants. Certains succombent sous les balles ou vivent avec la peur au ventre au quotidien ; d’autres, désespérés, se suicident, et d’autres encore sont contraints à l’exil. En Turquie, il y a toute une gamme de méthodes visant à faire ployer l’ennemi du régime, à le disqualifier. Asli Erdogan en a fait les frais. L’affaire judiciaire l’opposant au régime turc a duré près de cinq ans. Après de multiples rebondissements, elle est complètement blanchie en 2022. Mais Asli Erdogan continue d’être menacée. Depuis 2016, elle vit en exil en Allemagne et désespère de ne jamais pouvoir retourner dans son pays où le président sortant a été réélu en mai. Une réélection qu’elle explique par plusieurs facteurs.
En premier lieu, Asli Erdogan évoque un phénomène global, à savoir l’ampleur d’ »une vague de droite partout dans le monde ». Toutefois, elle insiste sur « des conditions particulières propres à la Turquie ».
Le régime d’un homme (ndlr, Recep Tayyip Erdogan), d’un parti (ndlr, l’AKP, Parti de la justice et du développement), y est de plus en plus consolidé. Depuis près de dix ans, toute la police, l’armée et la justice sont entre ses mains. En d’autres termes, il semble que l’opposition n’ait aucune chance de s’organiser. Et il élève sa propre génération dans les lycées religieux. Entre 40% et 50% des jeunes étudient actuellement dans des écoles d’Imam Hatip (ndlr, un établissement d’enseignement secondaire professionnel public, destiné à la formation des personnels religieux musulmans). Il s’agit d’un lavage de cerveau. Plus le temps passe, plus nos chances s’amenuisent. C’étaient peut-être les dernières élections.
Une dictature depuis 2016
Asli Erdogan considère que la Turquie n’a plus de démocratie que le nom :
C’est une dictature depuis 2016 et nous jouons à la démocratie. Si le candidat Kemal Kiliçdaroglu ne peut pas être vu sur 24 des 25 chaînes de télévision, seulement sur une chaîne, alors la situation est pathétique. Selahattin Demirtas, l’un des opposants les plus importants, est en prison depuis six ans. Et c’est aussi le cas pour tous les cadres du parti HDP (ndlr, Le Parti démocratique des peuples, issu du mouvement politique kurde) il s’agit de milliers de personnes qui sont emprisonnées depuis six ans.
Face à ce triste constat, Asli Erdogan se sent investie d’une mission : écrire sur la prison. Une dette envers ses camarades encore incarcérés et ceux qui ne manqueront pas de l’être à l’avenir, car la Turquie a une triste tradition… Selon Asli Erdogan » la Turquie emprisonne plus d’écrivains que la Chine et la Russie « . Elle cite une enquête publiée dans le journal Cumhuriyet alors qu’elle était derrière les barreaux :
Le titre était : « La littérature turque est en prison ». Moi et l’écrivain Ahmet Altan étions en couverture. J’ai compté 163 écrivains emprisonnés dans l’histoire de la République turque de ce siècle. Et parmi ces 163 auteurs, il en manquait, j’ai allongé la liste. C’est un nombre incroyable, 170 auteurs connus. Si l’on ajoute ceux qui ont commencé à écrire en prison, les journalistes et les universitaires, le nombre atteint les milliers. C’est plus ou moins un record mondial. Il est nécessaire d’enquêter sur ce sujet et de comprendre pourquoi.
« La prison est le seul endroit de ma vie où je ne me suis pas sentie seule »
Asli Erdogan a « toujours su » qu’elle finirait en prison. Une intuition à la fois rationnelle (en tant qu’écrivain, elle savait qu’elle était « un danger pour le système ») et irrationnelle, « celle de connaître son destin ». Une révélation qu’elle a eue très jeune, quand, enfant, la police a fait une descente chez ses parents. Un évènement qui s’est reproduit à plusieurs reprises dans sa vie :
J’ai vécu des descentes de police trois fois jusqu’à présent. L’une d’entre elles était au Brésil. Je pense que j’en ai fini ou qu’il en reste encore une. Et je commence à m’y habituer.
Lors de son incarcération, Asli Erdogan a pu tenir grâce à des liens de solidarité, en particulier ceux qu’elle a créés avec ses codétenues. Ensemble, elles ont tenté de faire pousser des plantes.
Au début, c’était interdit. Il est du devoir de chaque prisonnier de défier les interdits. Il n’y a rien de beau dans la prison, pas de musique, pas de couleur, pas de vie. Nous n’avions que nos plantes et ils les ont aussi enlevées. Les plantes sont si importantes, elles sont comme le symbole de la vie.
Faire pousser des plantes comme acte de résistance… Hors les murs, Asli Erdogan continue de défier le régime par sa plume. Car écrire, dit-elle, c’est résister, à l’image des femmes et des Kurdes qui, selon elle, sont les plus actifs dans la résistance et à qui elle rend honneur :
La plus grande résistance vient de deux groupes : les Kurdes politisés et les femmes, en particulier les femmes kurdes. Elles résistent contre l’État et le système patriarcal. Elles résistent de bien des façons. Et beaucoup de choses ont évolué dans les régions kurdes.
Dans le chaos ambiant, il y a des voix qui s’élèvent, émergent du tumulte du monde afin de nous permettre de lui redonner une forme compréhensible et lisible. Sans concession et pourtant emplie de poésie, la voix d’Asli Erdogan est de celles-là. Asli Erdogan est l’invitée de l’émission Dans quel Monde on vit de Pascal Claude ce samedi 1er juillet sur La Première.
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