A Chypre Nord, la victoire à la présidentielle de Tufan Erhürman, partisan d’une réunification de l’île, un camouflet pour les nationalistes

Le Monde, le 20/10/2025

Par Nicolas Bourcier (Istanbul, correspondant)

Le social-démocrate a été élu au premier tour, avec 62 % des voix, face au sortant, proche du régime de Recep Tayyip Erdogan. Il a immédiatement tenté de rassurer Ankara, annonçant qu’il allait travailler « en étroite concertation avec la Turquie Â».

 
Le social-démocrate Tufan Erhürman célèbre sa victoire dès le premier tour de l’élection présidentielle de Chypre Nord, le 19 octobre 2025. YIANNIS KOURTOGLOU / REUTERS

La surprise n’est pas totale, mais le camouflet est sévère. Le président chypriote turc sortant, Ersin Tatar, nationaliste turc, opposant décomplexé à toute réunification de l’île et soutenu à bout de bras depuis cinq ans par Ankara, a été très largement battu, dimanche 19 octobre, dès le premier tour du scrutin. Candidat de l’opposition, social-démocrate et partisan d’une solution fédérale, Tufan Erhürman a remporté la présidentielle de la République turque de Chypre du Nord (RTCN), reconnue seulement par la Turquie, avec 62,76 % des voix contre 35,81 % pour le chef d’Etat sortant. Les six autres candidats ont obtenu moins de 1,5 % des suffrages.

Il faut remonter aux scores de Rauf Denktas, dirigeant de la partie nord de l’île de 1983 à 2005 et figure politique singulière, pour voir un tel écart lors d’une présentielle. Dès sa victoire acquise, à peine quelques minutes après la fermeture des bureaux de vote à 18 heures, Tufan Erhürman a annoncé, sur le ton calme et modéré qu’on lui connaît depuis le début de la campagne, ne pas avoir l’intention de gouverner seul : « Nous, le peuple chypriote turc, avons gagné ensemble, célébrons notre fraternité, pas notre victoire. Â»

Et il a ajouté en guise de main tendue on ne peut plus limpide au gouvernement d’Ankara : « J’exercerai les responsabilités qui m’ont été confiées, notamment celles liées à la politique étrangère, en étroite concertation avec la Turquie. Personne ne devrait avoir le moindre doute ni la moindre inquiétude à ce sujet. Â»

« Attitude constructive Â»

Avocat et universitaire respecté, soutenu par différentes formations de gauche qui n’ont pas présenté de candidats contre lui, apprécié par des figures chypriotes turques allant jusqu’au centre droit, Tufan Erhürman a mené une campagne sans vague, en s’efforçant de ratisser large. « Il s’est présenté non pas en voulant travailler contre la Turquie mais avec elle, en faisant bien comprendre qu’il avait une attitude constructive sur la question chypriote, bloquée depuis tant d’années », analyse Hubert Faustmann, directeur de la Fondation Friedrich-Ebert sur l’île et professeur à l’université de Nicosie.

Au vu du score sans appel, Ersin Tatar, le président sortant, a chèrement payé son alignement systématique sur Ankara. Début juillet, lors d’un échange public, il s’était senti dans l’obligation de préciser qu’il n’était pas « la marionnette Â» du président turc, Recep Tayyip Erdogan. Pour l’heure, la tâche s’annonce complexe pour Tufan Erhürman. L’île est figée dans une sorte de face-à-face immuable depuis des années, chaque partie, nord et sud, campant sur des positions très fermes, des deux côtés de la frontière.

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