La Turquie hausse le ton contre l’Ukraine face aux attaques visant les pétroliers russes en mer Noire

Les Echos, le 06/12/2025

Par Killian Cogan

Alors que l’Ukraine multiplie les attaques contre les pétroliers russes, la Turquie tente de préserver la stabilité en mer Noire, à la fois route commerciale, corridor énergétique et zone d’exploration gazière.

 
Des tankers soupçonnés de transporter du pétrole russe ont été attaqués en mer Noire, au large des côtes turques par des drones marins ukrainiens, le 29 novembre 2025. (Photo SECURITY SERVICE OF UKRAINE/AFP)

Les récentes attaques de drones navals contre des pétroliers russes en mer Noire, dont deux ont été revendiquées par l’Ukraine et ont lieu dans la zone économique turque, ont suscité l’ire d’Ankara. Le président Recep Tayyip Erdogan a réagi ce lundi en prévenant qu'[il] « ne pouvait absolument pas excuser Â» ces attaques qui « menacent la navigation, la vie et l’environnement dans sa zone maritime Â». Mercredi, le ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan lui a emboîté le pas en qualifiant ces frappes de « très effrayantes Â», et de convoquer l’ambassadeur d’Ukraine à Ankara et le chargé d’affaires par intérim de Russie un jour plus tard.

Pour Ankara, les enjeux sont de taille. La mer Noire constitue en effet une importante route commerciale reliant la Turquie à la Russie et à l’Ukraine mais aussi à la Roumanie et à la Bulgarie. Elle est notamment cruciale pour le transport des céréales. Or, dans la foulée des attaques contre les pétroliers russes, les tarifs d’assurance maritime ont explosé.

Corridor énergétique

La mer Noire est aussi un corridor énergétique majeur pour la Turquie. Ankara est dépendant à 45 % de la Russie pour son approvisionnement en gaz, lequel est acheminé par deux gazoducs qui traversent la mer Noire : Blue Stream, inauguré en 2005, et TurkStream, achevé en 2020. Tandis que le premier alimente exclusivement le marché domestique, à hauteur de 16 milliards de m³ par an, le second approvisionne aussi la Bulgarie, la Grèce, la Hongrie et la Serbie, à hauteur de 15,75 milliards m³ pour le marché turc et un volume équivalent aux pays européens.

« Au-delà du gaz, la Turquie reçoit également beaucoup de pétrole brut en provenance de Russie qui est transporté par voie maritime en mer Noire Â», pointe Yörük Isik, analyste géopolitique installé à Istanbul. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine en 2022 et l’introduction d’un blocus des pays du G7 sur le pétrole russe, la Turquie s’est en effet érigée en troisième importatrice mondiale de l’or noir russe, après la Chine et l’Inde : elle a quasiment doublé ces importations de pétrole russe depuis lors.

Contournement des sanctions

Elle réexporte d’ailleurs une partie de ce pétrole vers les pays du G7 après l’avoir raffiné dans ses raffineries, contournant de la sorte les sanctions imposées par le bloc occidental. Même si, sous la menace de nouvelles sanctions occidentales, les raffineries turques se détournent de plus en plus du pétrole russe, et s’approvisionnent davantage auprès d’autres producteurs à l’instar de l’Irak et du Kazakhstan depuis peu.

La Turquie mène enfin des activités d’explorations gazières en mer Noire depuis plusieurs années. Elle a ainsi découvert un gisement de 320 milliards de m³ de gaz naturel au large de Sakarya en 2020, puis un autre estimé à 75 milliards de m³ dans la même zone au printemps dernier. Des découvertes qui pourraient à l’avenir couvrir une part importante de ses besoins énergétiques. Autant de raisons de préserver la stabilité en mer Noire et dans ses zones maritimes.

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