Mais il est très vite apparu que de nombreuses zones d’ombre subsistaient, à commencer par la disparition des enregistrements des caméras de vidéosurveillance de son université. Surtout, le public découvrait, près d’un an après les faits, que l’autopsie avait permis de trouver les traces d’ADN de deux hommes sur le corps sans vie de Rojin Kabais, dessinant le scénario d’un possible viol suivi de meurtre. “Pourquoi les résultats de ce rapport ont-ils été dissimulés à la famille et au public pendant si longtemps ?” s’interroge Evrensel. Le titre précise que la justice n’écarte pas la possibilité que ces traces d’ADN soient apparues suite à des contacts avec le corps, sans lien avec le décès.

“Dans les romans policiers, il est courant que les meurtres soient maquillés en suicides, c’est malheureusement aussi une réalité trop courante en Turquie”déplore le quotidien de gauche Birgün. À l’unisson de la presse d’opposition, le journal critique l’absence de volonté politique de lutter contre les féminicides en Turquie : “La négligence dans la lutte contre les violences masculines est désormais devenue chose courante et personne ne s’étonne que, ces dernières années, le nombre de femmes qui décèdent en tombant de leur balcon ou en se suicidant ne cesse d’augmenter.”

 

Large mobilisation

La demande, déposée par le parti prokurde du DEM, de lancer une commission d’enquête sur les conditions du décès de la jeune femme ainsi que sur la procédure et l’enquête judiciaire a été rejetée par les députés du parti au pouvoir, l’AKP, et son allié d’extrême droite du MHP, souligne le média en ligne Bianet. “Toute mort suspecte de femme n’est pas un meurtre, il faut arrêter de comparer les meurtres en fonction de la distinction entre hommes et femmes”, a notamment fulminé le député du MHP Adem Yildirim, rapporte le média.

Le cas de Rojin Kabais n’a pas été traité sérieusement, car il s’agit d’une femme, issue de la minorité kurde et d’une famille pauvre, accuse le magazine Gazete Oksijen, qui donne la parole au père de la victime :
 

“Ils ont vu que nous étions pauvres, que je n’étais qu’un ouvrier du bâtiment et ils ont voulu classer l’affaire en suicide.”

L’affaire mobilise la société turque. Le dimanche 19 octobre, des taxis de la ville de Van ont ainsi défilé en klaxonnant avec des pancartes demandant que la lumière soit faite sur cette affaire.

 

 

Ils ont été imités, le lendemain, par les clubs de motards de la ville de Diyarbakir, d’où la famille de Rojin Kabais est originaire. Les habitants de la ville ont par ailleurs fait clignoter les lumières de leurs appartements en signe de soutien. Sur les campus, en premier lieu celui de l’université que fréquentait Rojin Kabais, les rassemblements d’étudiants se multiplient, ainsi que les manifestations d’organisations de défense des droits des femmes.

Face à la pression, l’enquête est relancée. Les policiers seraient notamment parvenus à consulter les mails de Rojin Kabais et analyseraient son téléphone. La piste d’une possible implication d’un petit ami résidant en Chypre du Nord est actuellement étudiée, rapporte le quotidien Hürriyet.