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Le Monde, le 20/11/2022
Par Marie Jégo
Le poids de ces entrées de capitaux à l’origine non précisée, mais dont les proportions sont conséquentes, n’a fait que s’accroître depuis 2018.
Trouver des financements pour relancer son économie à la peine est un défi de taille pour le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui n’aborde pas en favori l’échéance cruciale des élections (présidentielle et législatives) prévues en juin 2023.
Depuis l’invasion russe en Ukraine, le 24 février, les déficits n’ont fait que se creuser. En cause, la hausse mondiale des prix des matières premières et de l’énergie (gaz et pétrole) que la Turquie, pays le plus industrialisé de la région, importe massivement, de Russie surtout.
Réélu régulièrement depuis vingt ans sur ses promesses de prospérité économique, le président Erdogan a désormais plusieurs épines au pied. Parmi elles figurent le déficit des comptes courants (solde des échanges commerciaux et financiers avec l’étranger), le déficit commercial chronique, l’inflation des prix à la consommation (85,5 % en octobre), tirée par une facture énergétique qui explose et par la dépréciation continue de la monnaie locale, la livre turque (LT).
« Erreurs et omissions »
Le manque de devises étrangères et le financement du déficit des comptes courants sont des problèmes récurrents de l’économie turque, qui dépend des capitaux étrangers pour se développer. Or le pays ne peut plus compter sur ceux-ci, les investissements étrangers directs étant tombés à leur plus bas niveau, soit 5,7 milliards de dollars (5,5 milliards d’euros) en 2020 contre 19 milliards en 2007, selon la Banque centrale de Turquie (BCT).
Pour combler les manques, le gouvernement a trouvé une astuce, révélée à la lecture des bilans publiés par la BCT à la mi-septembre. A la rubrique « erreurs et omissions nettes » sont comptabilisées des entrées de capitaux à l’origine non précisée mais dont les proportions sont assez conséquentes.
Ainsi, 5,5 milliards de dollars ont été répertoriés en juillet, ce qui porte le montant de ces mystérieuses entrées de capitaux à 24,4 milliards de dollars pour les sept premiers mois de l’année. De quoi combler une partie du déficit des comptes courants, évalué à 36,7 milliards de dollars sur les neuf premiers mois de 2022.
Une partie de ces mystérieuses entrées de capitaux s’explique par le rapatriement, tout à fait légal, de devises détenues par le secteur privé à l’étranger. Les exportateurs turcs rapatrient leurs gains en Turquie, contraints de se plier aux mesures que le gouvernement a récemment mis en place, les obligeant à convertir en LT 40 % de leurs recettes en devises.
Des chiffres hors normes
La rubrique sous laquelle ces capitaux sont répertoriés implique que leur origine sera précisée ultérieurement, quand les transferts auront été confirmés. Les données du compte courant sont calculées selon des modèles de dépenses à long terme qui peuvent être révisées par la suite. Les « erreurs et omissions nettes » devraient être une exception, n’afficher que des chiffres mineurs. Dans le cas de la Turquie, les chiffres sont hors normes.
Seule certitude, le poids de ces entrées de capitaux d’origine inconnue n’a fait que s’accroître depuis 2018, l’année où M. Erdogan est devenu « hyper-président », assumant le rôle de président, de premier ministre, de chef des armées et aussi de grand décideur de la politique économique. « L’économie c’est moi », déclare-t-il à l’envi. Cette année-là , les entrées de capitaux à l’origine non déterminée se sont élevées à 22,7 milliards de dollars.
La crainte est de voir en Turquie cette rubrique servir de refuge aux capitaux issus de l’économie grise, bien réels mais impossibles à quantifier. En 2021, le placement du pays sur la liste grise du Groupe d’action financière, l’organisme mondial chargé de la surveillance en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ne fait que renforcer cette appréhension.
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