La manufacture royale de glaces et de miroirs, ancêtre de Saint-Gobain, est née en 1665 d’une irritation. Celle de Jean-Baptiste Colbert, ministre des finances de Louis XIV qui ne voulait pas confier la réalisation des vitrages de Versailles à ces diables de Vénitiens qui détenaient un quasi-monopole sur la production des grandes glaces. Il en vint même à faire espionner les ateliers de la lagune, puis à soudoyer les artisans, en leur promettant argent et femmes, pour les faire venir en France.
Trois cent cinquante ans plus tard, Saint-Gobain, la plus vieille entreprise du CAC 40, est au centre d’une polémique dont elle se serait bien passée : les façades vitrées de son nouveau siège de la Défense seront posées par une entreprise turque. Au grand dam des producteurs français.
L’entreprise n’y est pas pour grand chose, puisque la construction de cette tour de 39 étages, dont elle n’est pas propriétaire, a été entièrement confiée au groupe Vinci. Et l’affaire, qui concerne un contrat de moins de 20 millions d’euros, n’aurait soulevé aucun émoi particulier sans le coup de gueule du syndicat des fabricants français de menuiserie en aluminium, le SNFA.
Les entreprises étrangères ne jouent pas avec les mêmes règles, plaide l’organisation professionnelle. Alors que les producteurs français ont répondu à l’appel d’offres de Vinci avec des propositions autour de 17 millions d’euros, la société turque Metal Yapi aurait soumis une offre très largement inférieure, de l’ordre de 13 millions.  » Aucune entreprise européenne ne peut s’aligner sur ces prix sans travailler à perte « , s’insurgent les industriels. Du pain blanc pour tous les tenants de la préférence française. A commencer par le Front national, qui y a trouvé un argument-choc en faveur de ses thèses protectionnistes.
Subtil équilibre de la mondialisation
L’ennemi turc entre donc par la fenêtre dans le monde du bâtiment français. Un secteur qui emploie près de 900 000 salariés, dont 20 % dans la menuiserie et les façades. Ce serait oublier que, dans le subtil équilibre de la mondialisation, les grandes entreprises françaises, qui constituent une part majeure de la création de richesse en France, sont étroitement dépendantes des marchés internationaux. Vinci ou Bouygues, les leaders mondiaux de leur secteur, prospèrent grâce aux contrats remportés sur les cinq continents.
La fermeture des frontières, et donc des contrats internationaux, signerait une perte considérable pour l’économie. Reste la question du respect d’une concurrence loyale. Le recours aux travailleurs détachés s’apparente de plus en plus à une forme de dumping d’autant moins supportable qu’il est mal encadré et surveillé. Comme les rentes et les ententes, les pratiques sociales douteuses sont les ennemis d’une vraie concurrence, pas le recours à l’étranger. Mais ce discours est-il encore audible en ces temps troubles de repli sur soi ?
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