Le bilan de l’attentat suicide perpétré samedi soir 20 août à Gaziantep, la grande ville commerçante du sud de la Turquie, à soixante kilomètres de la frontière syrienne, risque de s’alourdir. Selon la préfecture, 50 personnes sont mortes (sans compter l’auteur de l’attentat) et 94 ont été blessées lors de l’attaque perpétrée par un jeune kamikaze (entre 12 et 14 ans selon la police) au beau milieu d’une noce kurde.
Comme le veut la tradition, les familles étaient venues nombreuses des villages alentour pour participer aux cérémonies célébrées en plein air samedi soir dans le quartier périphérique de Sahinbey, majoritairement peuplé de Kurdes. Alors que les festivités battaient leur plein, un adolescent a déclenché la charge explosive qu’il portait autour de la taille.
La police a annoncé avoir retrouvé les lambeaux du gilet sur les lieux de l’explosion et selon les premiers éléments de l’enquête, le kamikaze était un tout jeune garçon, âgé de 12 à 14 ans. Des témoins ont raconté qu’il était arrivé à la fête en compagnie de deux hommes qui ont ensuite quitté les lieux, le laissant seul au milieu des convives.
« Ceux qui ont fait ça ont transformé une fête heureuse en bain de sang. Parmi les victimes il y a des femmes et des enfants. Parmi les 94 blessés, 20 sont dans un état grave, le nombre de morts pourrait augmenter », explique Hisyar Özsoy, député du parti de la Démocratie des peuples (HDP, pro kurde), joint par téléphone sur le lieu de l’attentat.
L’attaque la plus meurtrière de l’année 2016
L’attentat de Gaziantep est l’attaque la plus meurtrière subie en 2016 par la Turquie, qui en a connu beaucoup depuis l’été 2015, soit de la part des rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, séparatiste) en guerre contre les forces turques au Sud est, soit de la part de l’organisation Etat islamique (EI), dotée de cellules dormantes à travers tout le pays.
Le 28 juin 2016, un triple attentat suicide a fait 45 morts à l’aéroport international Atatürk à Istanbul. Attribué à l’EI, il n’a jamais été revendiqué. L’organisation, qui jouit de relais dans de nombreuses villes de Turquie, rechigne à signer ses méfaits, de crainte de perdre ses sympathisants sur place.
Proche de la Syrie, Gaziantep, grande métropole commerçante peuplée de près de 2 millions d’habitants, dont de nombreux réfugiés du conflit syrien, est réputée pour abriter des cellules djihadistes. A plusieurs reprises ces derniers mois, des manifestations (un cortège de quelques voitures) favorables à l’EI ont eut lieu en ville. Par ailleurs, des opposants syriens ont été tués à bout portant et en plein jour par des militants de l’EI à Gaziantep, notamment le journaliste Mohammed Zahir al Sherqat, tué en avril 2016 ainsi que le réalisateur de documentaires Naji Jerf assassiné en décembre 2015.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré dès samedi que l’attentat portait la signature de l’organisation Etat islamique (EI) et qu’il avait été perpétré pour semer la division et la haine entre différents groupes ethniques de Turquie (Arabes, Kurdes, Turkmènes).
« Ces organisations assoiffées de sang et les forces qui les soutiennent ne pourront pas faire taire les appels à la prière, abaisser le drapeau, diviser le pays ni briser la nation », a dit Erdogan quelques heures après l’attentat. Selon lui il n’y a aucune différence entre le PKK, la confrérie du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d’être l’instigateur du putsch raté du 15 juillet, et l’EI.
Jouer un rôle « plus actif » en Syrie
L’attaque de Gaziantep est intervenue le jour où le Premier ministre Binali Yildirim a annoncé, lors d’une table ronde avec la presse étrangère à Istanbul, que la Turquie souhaitait jouer un rôle « plus actif » dans la résolution du conflit syrien. Hormis le rabibochage en cours avec la Russie, les diplomates turcs ont récemment multiplié les contacts avec leurs homologues iraniens. Une rencontre tripartite entre l’Iran, la Russie et la Turquie est en cours de préparation, le président Erdogan devrait se rendre à Téhéran sous peu.
La Turquie, qui soutient la rébellion au régime syrien, va-t-elle trouver un terrain d’entente avec Moscou et Téhéran qui défendent Bachar Al-Assad ? Jusqu’ici, leurs vues divergeaient sur le sort du président syrien, que M. Erdogan voulait voir partir, contrairement à son homologue russe Vladimir Poutine et iranien Hasan Rohani.
La position turque se serait assouplie au point d’accepter que Bachar al Assad reste aux affaires le temps qu’il faut pour organiser la transition. Soumise aux attaques incessantes du PKK dans le Sud est, la Turquie perçoit plus que jamais comme une menace le risque de voir émerger une vaste région autonome kurde au Nord de la Syrie. Ce souci est devenu plus lancinant que le devenir de Bachar Al-Assad.
Le marié était proche du HDP, vitrine politique du PKK
A Gaziantep, les familles endeuillées du quartier de Sahinbey sont gagnées par l’inquiétude. Les Kurdes favorables au HDP se sentent visées car la famille du marié était connue pour ses sympathies envers ce parti, qui est aussi la vitrine politique du PKK.
Les Kurdes disent que le mode opératoire et les personnes visées (des civils kurdes) à Gaziantep rappellent les attentats suicides perpétrés à Diyarbakir, à Suruc puis à la gare d’Ankara entre juin et octobre 2015 quand des militants de gauche et des Kurdes étaient visés.
Une branche de l’EI active dans le Sud Est avait alors été désignée comme étant l’instigatrice de ces massacres. Le HDP déplore aujourd’hui qu’aucune investigation sérieuse n’ait été menée. « Nous avons eu beau réclamer la création d’une commission parlementaire, rien n’y a fait », rappelle le député Özsoy, élu de la région de Bingöl. Le parti pro kurde – 3ème force du parlement de Turquie avec 59 députés – avait vu les députés islamo-conservateurs de l’AKP (le parti au pouvoir en Turquie) ainsi que les ultranationalistes du MHP voter contre sa proposition.
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