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Le Point le 10/09/2017Â
La pièce monumentale datant du IIe siècle aurait été volée dans les années 70 et dissimulée dans les Ports Francs de Genève. Elle vient d’être restituée.
DE NOTRE CORRESPONDANT À GENÈVE, IAN HAMEL
Pour le professeur Marc-André Renold, directeur du Centre universitaire du droit de l’art, et avocat de la Turquie, « selon toute hypothèse, ce sarcophage proviendrait d’une fouille illicite menée dans les années 1970 dans le sud de la Turquie ». © DR
Cette fois, il ne s’agit pas de simples poteries, de monnaies anciennes ou de statuettes venant de fouilles clandestines et cachées dans les Ports Francs et Entrepôts de Genève. Mais d’un sarcophage en marbre blanc, orné des douze travaux d’Hercule, et pesant quelque 3 000 kilos, dissimulé derrière des couvertures et des cartons. Un sarcophage sorti des ateliers de la cité antique de Dokimeion – aujourd’hui Iscehisar – dans la région d’Antalya en Turquie, au IIe siècle après Jésus-Christ. De gigantesques carrières de marbre auraient produit quelque 300 000 sarcophages entre le IIe et le IVe siècle. Bien peu sont arrivés presque intacts jusqu’à nous.
Cette restitution est tellement symbolique que Nabi Avsi, le ministre turc de la Culture et du Tourisme, s’est déplacé en personne en juin dernier pour la célébrer. Exposé tout l’été à l’université de Genève, le sarcophage rejoint dans les jours prochains le musée d’Antalya.
Andrea Moscariello a travaillé plus de dix ans pour les compagnies pétrolières sur la mise en valeur de gisements en Amérique du Sud, en Afrique et au Moyen-Orient. A priori, ce géologue n’a pas grand-chose à voir avec l’archéologie. Il explique pourtant comment les analyses scientifiques permettent d’établir la provenance d’un objet. En l’occurrence de Dokimeion. « Par carottage, on arrive à desceller une odeur particulière, de méthane ou d’hydrocarbure, qui différencie un marbre d’un autre. Ensuite, les poussières retrouvées sur le sarcophage, d’origine organique ou atmosphérique, sont pratiquement identiques à la terre prélevée dans cette région de Turquie », avance l’Indiana Jones de l’université de Genève.
Les Ports Francs lavent plus blanc que blanc
Des arguments suffisamment convaincants pour que la justice suisse décide de séquestrer ce trésor archéologique et de le restituer à la Turquie. Pour le professeur Marc-André Renold, directeur du Centre universitaire du droit de l’art, et avocat de la Turquie, « selon toute hypothèse, ce sarcophage proviendrait d’une fouille illicite menée dans les années 1970 dans le sud de la Turquie ». Seulement voilà , l’objet a été retrouvé dans un entrepôt, aux Ports Francs de Genève, appartenant à Phoenix Ancient Art, une société de négoce en antiquités mondialement connue. Or, selon cette entreprise, le sarcophage aurait été acquis tout à fait légalement dans les années 80 par Suleïman Aboutaam, d’origine libanaise, décédé en 1998 dans un accident d’avion. Son fils Ali va mener pendant sept ans une intense bagarre juridique, largement médiatisée dans les milieux de l’art (*).
Pour la Suisse, cette affaire n’a rien d’anecdotique. Il s’agit de montrer que les Ports Francs de Genève, cette ancienne « caverne d’Ali Baba », pour reprendre l’expression du procureur Claudio Mascotto, lavent dorénavant plus blanc que blanc. Plus question d’abriter des trésors archéologiques pillés dans le monde entier, des diamants du sang et même parfois des armes de guerre. En décembre 2016, le ministère public genevois a déjà ordonné la confiscation de vestiges provenant de Palmyre en Syrie, une tête d’Aphrodite dérobée en Libye, des stèles anthropomorphes originaires du Yémen.
Comment dérober un objet de trois tonnes ?
« Cette restitution montre que la collaboration judiciaire internationale fonctionne », se félicite le professeur Marc-André Renold. Il envisage de mener des recherches concernant le financement du terrorisme via le pillage de sites archéologiques, notamment en Syrie et en Irak.
Après sept ans de procédure, Ali Aboutaam a brusquement retiré son recours. « Je suis très heureux d’avoir pu contribuer à trouver une solution pour cette magnifique antiquité […] Il est exclu de près ou de loin que nous fassions l’objet de quelque soupçon que ce soit sur le fait que cette Å“uvre provienne d’un trafic illicite », déclare-t-il dans un communiqué, ajoutant qu’il a pu « trouver un terrain d’entente avec les autorités ».
Ali Aboutaam a renoncé à ses recours. Il pose ici aux côtés de Nabi Avci, le ministre turc de la Culture et du Tourisme lors de la restitution. © DR
Un terrain d’entente resté confidentiel, mais suffisamment convaincant pour que Nabi Avci, le ministre turc de la Culture et du Tourisme, lors de sa venue en Suisse, accepte de poser aux côtés de celui qui s’est opposé pendant tant d’années à la restitution. Il est vrai que le vol d’un objet aussi volumineux appelle à se poser quelques questions. Comment le sortir du pays sans bénéficier de complicités au plus haut niveau de l’État ?
(*) « La Turquie réclame un sarcophage romain découvert fin 2010 aux Ports Francs de Genève », Le journal des arts.
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