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Le Monde, le 11/06/2021
Par Rémi Dupré
Sous l’impulsion de Recep Tayyip Erdogan, la Turquie a vainement présenté sa candidature à l’organisation du tournoi, alors qu’Istanbul briguait, dans le même temps, l’accueil des Jeux olympiques de 2020.
Sauf rebondissement de dernière minute, Recep Tayyip Erdogan ne devrait pas prendre place dans la tribune d’honneur du stade Olimpico de Rome, vendredi 11 juin, pour assister au match d’ouverture de l’Euro 2021 de football entre l’Italie et la Turquie. En revanche, le chef de l’Etat turc sera à Bakou, capitale de son allié qu’est l’Azerbaïdjan, pour les deux autres matchs de poules de « sa » sélection, programmés les 16 et 20 juin contre le Pays de Galles et la Suisse.
Grand passionné de football, surnommé durant sa jeunesse « l’imam Beckenbauer » pour son talent balle aux pieds, M. Erdogan ne porte pas spécialement les dirigeants de l’Union des associations européennes de football (UEFA) dans son cœur. N’ont-ils pas privé Istanbul, le 29 mai, de la réception de la finale de la Ligue des champions entre Chelsea et Manchester City au profit de Porto, en raison des restrictions de voyage entre la Turquie et le Royaume-Uni ? Une décision purement « politique », selon M. Erdogan.
Le dirigeant garde surtout en travers de la gorge les cinq échecs consécutifs de la candidature de son pays pour accueillir l’Euro, organisé par l’UEFA. La dernière défaite en date a eu lieu en septembre 2018 face à l’Allemagne, choisie pour accueillir l’édition 2024. Avant cela, le ticket formé par la Turquie et la Grèce n’avait pas été retenu pour l’Euro 2008. Puis, les Turcs avaient subi un nouveau revers face au tandem formé par l’Ukraine et la Pologne pour l’édition 2012.
M. Erdogan n’a pas non plus digéré la courte défaite (7 voix contre 6) de la Turquie contre la France, en 2010, lors du scrutin d’attribution de l’Euro 2016. A l’époque premier ministre, il avait cru pouvoir prendre sa revanche en briguant l’organisation de l’édition 2020. Il comptait sur un allié de poids : Michel Platini, alors président de l’UEFA.
« Au départ, Michel comprenait la grande frustration de la Turquie, qui avait perdu d’une voix l’Euro 2016, après avoir perdu l’édition 2012. Il s’était dit prêt à soutenir une candidature turque pour l’édition 2020 », raconte William Gaillard, ex-conseiller de M. Platini.
Risque d’« éléphants blancs »
En septembre 2011, M. Erdogan décide également de lancer Istanbul dans la course à l’organisation des Jeux olympiques d’été de 2020. En mai 2012, la commission exécutive du Comité international olympique (CIO) valide la candidature stambouliote, comme celles de Madrid et de Tokyo, leur permettant d’accéder à la seconde phase du processus d’attribution.
Cette volonté de M. Erdogan d’obtenir l’Euro et les JO dans son pays le même été pose un problème aux yeux de l’UEFA et du CIO. Tant M. Platini que Jacques Rogge, le président belge de l’instance olympique, prient le dirigeant turc de choisir entre le tournoi européen et les Jeux.
« Michel a été surpris qu’Erdogan présente Istanbul pour les JO 2020 et soit candidat à l’Euro, se souvient William Gaillard. Il ne pensait pas qu’un pays puisse construire des infrastructures pour l’Euro et les JO. On l’a vu avec le phénomène des “éléphants blancs”, ces grands stades vides, au Brésil, après le Mondial 2014 et les JO de Rio en 2016. Michel ne voulait pas prendre la responsabilité d’une telle folie. »
Les échanges entre M. Erdogan, qui refuse de faire un choix entre les deux compétitions, et l’ex-numéro 10 des Bleus, sont à l’époque particulièrement musclés. « Je n’ai pas lâché, car on ne peut pas avoir deux événements sportifs le même été. La Turquie était prévenue », confirme aujourd’hui au Monde M. Platini. « La Turquie était dans une position très difficile : le comité exécutif de l’UEFA l’a sommée de faire un choix », ajoute le Slovaque Frantisek Laurinec, ex-membre du comité exécutif de l’UEFA.
Contacté pour évoquer ce bras de fer, l’ex-vice-président turc de l’UEFA Senes Erzik (1994-2015) n’a pas donné suite. Pas davantage que la Fédération turque de football (TFF).
Célébration des 60 ans de l’Euro
L’intransigeance de M. Erdogan poussera M. Platini à changer le format de l’Euro 2020. L’ex-président de UEFA évoque, en juin 2012, une compétition organisée par « 12 ou 13 villes dans toute l’Europe ». Motif officiel d’un tel big bang : la célébration des 60 ans d’existence du tournoi. En décembre 2012, le concept est validé par le comité exécutif de l’UEFA.
La fédération turque n’a alors plus aucune raison de maintenir sa candidature et ne participe pas, en 2014, à l’élection des villes hôtes pour cette édition élargie. Ironie de l’histoire, la Turquie va perdre sur les deux tableaux dans la mesure où Istanbul est battu par Tokyo, en septembre 2013, au dernier tour du scrutin d’obtention des JO 2020.
La Turquie peut-elle espérer un jour accueillir l’Euro ? En 2019, la TFF a annoncé son intention de présenter sa candidature dans l’optique du vote d’attribution de l’Euro 2028, programmé à l’automne 2022. « Erdogan est une figure autoritaire et les droits de l’homme constituent l’un des critères de candidature des organisations sportives, estime un juriste turc, spécialiste du droit du sport, qui requiert l’anonymat. Avec une telle approche des droits de l’homme, de la liberté d’expression, il serait très improbable que la Turquie soit récompensée par l’une des organisations sportives internationales. »
Si ce critère prévaut vraiment aux yeux de l’UEFA, le dirigeant turc risque d’attendre encore un peu avant d’accueillir son Euro.
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