Peu représentées sur le marché du travail, absentes de la haute fonction publique, victimes de violences conjugales, les femmes ne sont pas à la noce en Turquie, où la parité hommes-femmes tend à se déliter.
« La société a appris aux filles qu’il est important de rester au second plan, c’est encore valable aujourd’hui. Nous n’avons pas été capables de défaire l’attelage pauvreté-violence-discrimination qui se perpétue de génération en génération. Seule l’éducation des femmes nous permettra d’y mettre un terme », soulignait la journaliste Melis Alphan, le 10 octobre, dans le quotidien Hürriyet. Selon le « Rapport mondial sur la parité », établi par le Forum économique mondial, le pays est descendu de la 125e à la 130e place (sur 145 pays) en 2015.
Lancé par Mustafa Kemal Atatürk en 1934 – date à laquelle les Turques reçurent le droit de vote, onze ans avant les Françaises –, le processus d’émancipation du « deuxième sexe » est loin d’être achevé. Malgré leurs acquis fondamentaux (droits à l’éducation, au divorce, à la contraception, à l’avortement), les Turques sont sous-représentées au travail (32 % de femmes actives contre 76 % pour les hommes).
Elles sont minoritaires au Parlement (18 %) et leur accès aux fonctions ministérielles est infime (4 %, contre 50 % en France). Un paradoxe sur lequel se sont penchées des militantes, des femmes d’affaires et des représentantes des agences onusiennes, réunies à Istanbul, le 11 octobre, sous l’égide de la fondation de l’homme d’affaires Aydin Dogan.
La non-discrimination inscrite dans la Constitution
« 43 % des femmes âgées de 16 à 29 ans ne sont pas scolarisées et ne travaillent pas », constate Candan Fetvaci, présidente du conseil d’administration de la Fondation ÂAydin Dogan. Pour lutter contre cette discrimination, cette fondation, créée en 1996, se bat pour favoriser l’accès des filles à l’éducation, offrant des bourses, construisant des écoles et des internats. « Papa, amène-moi à l’école ! », clame sa dernière campagne médiatique.
Le mariage précoce constitue le frein le plus sérieux à la scolarité prolongée des jeunes filles : 26 % des femmes se marient en Turquie avant leurs 18 ans, limite d’âge légale aisément contournée sur décision d’un tribunal administratif.
« Le mariage précoce des filles est le plus gros problème auquel ma municipalité se trouve confrontée », reconnaît Fatma Sahin, la maire de Gaziantep, grosse ville industrielle du sud du pays où 170 000 Syriens ont trouvé refuge. Les plus démunis sont parfois tentés de marier leurs fillettes à un prétendant turc aisé et âgé. « Nous remuons ciel et terre pour convaincre les pères de ne pas donner leurs filles », explique l’édile, membre de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir.
D’après elle, violences conjugales et mariages précoces, très répandus dans l’est et le sud-est de l’Anatolie profonde, sont liés. Car il y a un fossé entre les intentions légales et la réalité : si la non-discrimination est inscrite dans la Constitution, les femmes n’en sont pas moins laissées sans protection face à la violence conjugale. Et 413 d’entre elles ont péri des mains de leur époux en 2015, le plus souvent à la suite de démarches entamées en vue d’un divorce.
Autre problème : l’avortement, légal en Turquie depuis 1983, est de moins en moins accessible. Selon une étude récente de l’université Kadir-Has d’Istanbul, 78 % des hôpitaux qui le pratiquent le font uniquement si une menace pèse sur la vie de la mère. « On nous parle de contraception, de planning familial. Aucune famille musulmane ne peut avoir une telle mentalité », s’était indigné le président ÂRecep Tayyip Erdogan, le 30 mai, en invitant les femmes à « accroître la descendance ».
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