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Le Monde, le 10/12/2015
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Le premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, le 26 novembre à Ankara. AP
Loin d’être apaisées, les tensions subsistent entre la Turquie et la Russie, accusée par le premier ministre turc Ahmet Davutoglu de se livrer a un « nettoyage ethnique » au nord de Lattaquié en Syrie, une zone actuellement sous le feu de l’aviation et des missiles russes.
Recevant un groupe de correspondants étrangers dans ses bureaux du palais de Dolmabahçe à Istanbul, mercredi 9 décembre, M. Davutoglu a estimé que l’intervention russe en Syrie ne faisait que brouiller les cartes : « Les Russes sont engagés à Azaz, un bastion de l’opposition modérée contre Daech, qu’ils bombardent. Pourquoi ? ».
Située non loin de la frontière turque, la ville de Azaz est le théâtre de combats acharnés entre les forces de l’organisation Etat islamique (EI) et la rébellion syrienne opposée au régime. C’est justement dans cette zone, de Azaz à Jarabulus plus à l’est, soit une bande de terre de 100 kilomètres de long sur 30 kilomètres de large, que la Turquie réclame en vain la création d’une « zone de protection », laquelle, une fois libérée de l’EI et protégée par la couverture aérienne arabo-occidentale, serait susceptible d’accueillir de nouveaux réfugiés.
« Les opérations russes n’aident pas »
« Nous la demandons depuis 2012. Quand la coalition anti-Daech [l’acronyme arabe désignant l’EI] a vu le jour, nous avons pensé à une nouvelle chance, enfin on allait aider l’opposition à chasser Daech. Depuis, nous sommes en étroite relation avec les Etats-Unis, nous poursuivons nos opérations communes. Malheureusement les opérations russes n’aident pas », a déploré M. Davutoglu.
L’offensive aérienne russe dans la région s’est intensifiée en octobre et novembre, faisant des dégâts dans la région de Bayir Bucak, où se trouvent plusieurs villages turkmènes (peuple turcophone dispersé au Moyen-Orient). La destruction d’un avion militaire russe par des F-16 turcs, le 24 novembre, au-dessus de cette région disputée, a fait voler en éclats l’idylle russo-turque.
Depuis, Moscou a riposté en installant des S-400, des missiles antiaériens, sur sa base militaire de Hmeimim, le long de la côte de Lattaquié, à 50 kilomètres de la frontière turque. De cette façon, la Russie a créé sa propre zone de non-survol aérien, ruinant le projet turc. « La Russie veut sa propre zone de non-survol, voilà pourquoi ils bombardent les Turkmènes au Nord de Lattaquié » a expliqué M. Davutoglu au Monde. Selon lui, les Russes « veulent nettoyer ethniquement cette zone pour assurer la protection des bases du régime et des leurs à Lattaquié et à Tartous ». « Ils ne veulent voir aucun Arabe sunnite ou Turkmène dans cette partie de la Syrie. C’est leur but », en déduit-il.
Controverse avec l’Irak
Bien avant l’incident aérien, Ankara avait mis en garde les Russes « de ne pas bombarder la région de Bayir Bucak et de ne pas frôler la frontière ». Pour le reste, le bombardier russe a bel et bien violé l’espace aérien le 24 novembre, la Turquie n’a fait que se défendre. « Imaginons qu’à la demande des autorités de Kiev, la Turquie soit intervenue à l’est de l’Ukraine, bombardant les rebelles russophones. Et si l’aviation militaire turque avait franchi l’espace aérien russe, que se serait-il passé ? »
Après la brouille avec Moscou, une autre controverse a surgi, avec l’Irak cette fois, au sujet du récent déploiement militaire turc aux environs de Mossoul. Depuis un an, les Turcs entraînent des combattants irakiens dans le camp de Bachiqa. Récemment, un contingent de soldats et de chars a été envoyé en renfort pour protéger les instructeurs.
Face aux protestations du gouvernement de Bagdad, la Turquie a interrompu la rotation de ses effectifs mais entend bien garder des militaires sur place. « Notre intention est d’entraîner les habitants de Mossoul à combattre Daech et de protéger ceux qui les entraînent. »
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