Yilmaz, les sentiers de la gloire

L’Équipe, le 11/06/2021

MATHIEU GRÉGOIRE

Avant de devenir le « Kral » , le roi de Turquie, l’exigeant attaquant a su exploiter une inépuisable confiance en lui.

Kerim a 7 ans, son destin est déjà tracé. De Burak Yilmaz, il est piqué, à l’Académie de Galatasaray, après chaque but, il célèbre le torse bombé, le verbe haut, en agitant les bras ou en brandissant le poing. Les disciples du « Kral » (le « Roi » ) sont nombreux, accros, ils semblent arrogants et ont la foi. Ancien international turc, Bülent Akin est responsable de la conversion de son fils Kerim. « On a suivi la course au titre sur beIN, l’intensité des chocs face à Paris ou Lyon, glisse l’ex-milieu. Mais le petit… il suit Burak tout le temps, il le regarde en boucle sur YouTube. Burak, on attend tellement de lui, il a laissé sa trace partout : à Trabzonspor, Galatasaray, Besiktas… C’est l’idole de tous les jeunes. Ses performances augmentent avec l’âge, comme le nombre de nouveau-nés qui portent son prénom. » Un vent de fraîcheur insufflé par un joueur qui fêtera ses 36 ans le 15 juillet. La Turquie tient son Benjamin Button, « son phénomène international » , dixit Akin, ex-directeur sportif de Konyaspor.

Dans les années 2000, la première partie de carrière du têtu d’Antalya est moins clinquante, à Besiktas, sous la férule de Jean Tigana, comme à Fenerbahçe. « Il n’a pas eu de réussite à ses débuts, les clubs turcs prennent beaucoup d’étrangers en pointe, c’est là qu’il y a le plus de concurrence. Il n’avait pas encore le petit déclic pour s’imposer » , glisse Akin. Yilmaz file à Trabzonspor en 2010, croise la route de Senol Günes, l’actuel sélectionneur. Au diable les séances vidéo de quatre heures, Günes n’est pas Guardiola et ne le sera jamais, il a un truc unique, indescriptible. « Il touche ses joueurs au coeur » , résume Cenk Ergün, ancien directeur sportif de Galatasaray. Le Kral n’est qu’un « kralito » , son exigence est déjà inouïe, sa détermination aussi, Günes va exacerber cette fierté, cette confiance absolue. « Leur connexion est fondamentale, dit Ergün. Quand Burak a des périodes de disette, Günes sait gérer cette frustration. » Avec 32 buts, plus du double du deuxième au classement, Yilmaz est le meilleur réalisateur en 2012 et retourne en grande pompe à Istanbul. Soirée de gala sur soirée de gala avec Galatasaray, le pauvre Elmander qui glisse en bout de banc, Yilmaz triomphe.

« Il aimait son équipe, il était le meneur de jeu hors de la pelouse, se souvient Ergün, alors team manager. Lors du mariage du docteur de l’équipe, la cérémonie est bien calme, quasi silencieuse. Burak monte sur l’estrade, prend le micro, parle, bouge, lance les hostilités, la soirée bascule dans la fête ! » Le 20 novembre 2012, après un début de campagne raté en C1, Galatasaray accueille Manchester United. Yilmaz inscrit le seul but de la rencontre. À la fin, pressing tout-terrain de l’UEFA sur Ergün, le Kral est l’homme du match, il doit répondre aux diffuseurs. Ergün l’attrape dans le vestiaire : « Et là, Burak me répond : « Une interview ? Pourquoi ? J’ai mis mon but, comme toujours, c’est mon job. Rien de bien intéressant. » »

« Il est arrivé bien trop tard dans un Championnat du top 5 européen
luis campos, qui a facilité son arrivée à Lille

Pour ses amis et coéquipiers, Yilmaz est le « Golcü » , littéralement « celui qui fait les buts » . Marquer l’obsède et cette ferveur met tout le monde d’accord. Il est passé par les quatre grands clubs de Turquie, les trois forteresses d’Istanbul et Trabzon, jamais personne ne le traitera de mercenaire ou de traître. « C’est notre Cristiano » , dit Ergün. Début 2016, il file en Chine pour 8 MEU, et ressuscite les finances de Galatasaray, comme l’avoue l’ancien dirigeant : « On n’avait pas anticipé les sanctions du fair-play financier, il nous a sacrément aidés. » La Chine du foot est trop étroite pour un tel roi, l’Europe s’est éloignée au fil des années. Mais Yilmaz a un « amoureux » . Un petit Portugais qui s’abîme les yeux le long des mains courantes. « Au printemps 2013, le Real affronte Galatasaray en quarts de la Ligue des champions (3-0; 2-3) , je suis en charge des rapports sur l’adversaire, confie Luis Campos. Il a déjà une belle carrière, mais je le découvre. J’en parle à Mourinho, et depuis ce jour, je suis resté un amoureux. À Monaco, quand Falcao se blesse, on hésite entre Berbatov et lui, mais il a un salaire astronomique, c’est déjà une vedette. Il est arrivé bien trop tard dans un Championnat du top 5 européen. »

Et puis Loïc Rémy a déserté le LOSC, et puis Campos a pu prendre un jet pour la Turquie, discrètement, pour voir le dernier match de Besiktas lors d’une Süper Lig qui avait repris, et puis il y a eu cette discussion. Campos : « Je lui ai dit : « Cela fait longtemps que je t’aime, je ne comprends pas pourquoi tu n’es pas venu en Europe. Cette fois, je suis là pour te proposer un défi dans un club très ambitieux, Lille. Une belle ville, un bon coach, une équipe prometteuse, de belles installations… Il ne manque que toi, tu es la pièce manquante, avec ton caractère, ta personnalité extraordinaire pour un groupe jeune. Ça va le faire directement. » Ses yeux ont brillé, j’ai senti l’alchimie. » La suite, comme le petit Kerim, vous la connaissez, elle est glorieuse, et inachevée.

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