Les relations entre l’Iran et la Turquie sont historiquement compliquées. Les deux puissances régionales se sont affrontées par proxys – intermédiaires – interposés en Syrie, et la victoire des rebelles soutenus par la Turquie contre la dictature d’Assad a suscité la colère de Téhéran. La presse turque s’inquiète que ces tensions augmentent en raison de la présence de bases militaires de l’Otan sur le sol turc. Celle d’Incirlik, dans le sud du pays, qui abrite de nombreuses têtes nucléaires, mais surtout la très stratégique station de radar de Kürecik, dans l’est du pays.

Les informations collectées par cette base servent aux forces américaines qui participent à la défense d’Israël contre les missiles iraniens. C’est grâce à ces détections que les missiles envoyés par les houtistes du Yémen, alliés de Téhéran, ont été interceptés, explique un officier des renseignements turc à la retraite au quotidien Cumhuriyet. La presse turque s’inquiète que le territoire national soit visé en représailles par l’Iran, en cas d’intervention directe des Américains contre Téhéran.

Le 15 juin, à l’appel du parti d’opposition islamiste Saadet, rejoint par de nombreux partis d’opposition, un meeting s’est tenu à Istanbul, dans le quartier d’Üsküdar, au bord du Bosphore, pour demander la fermeture de ces deux bases militaires, rapporte le quotidien Karar. “Ferme Kürecik, aveugle les sionistes !” chantait un rappeur sur la scène du meeting.

Alors que les tensions entre Israël et la Turquie montent également en Syrie, où le gouvernement Nétanyahou refuse de voir Ankara bénéficier d’une emprise politique et installer des bases militaires, le président Erdogan a déclaré, le 16 juin, “qu’après les derniers événements, [la Turquie va] produire un stock de missiles balistiques à longue et moyenne portée, et [elle] ser[a] rapidement dans une position ou personne n’osera [la] défier”, rapporte l’hebdomadaire Gazete Oksijen. Un message indirect à l’adresse d’Israël qui révèle, par ailleurs, comment l’attaque de l’État hébreu contre le régime des mollahs accélère la militarisation de la région.

Craintes d’une chute du régime iranien

Les appels à un changement de régime en Iran inquiètent particulièrement Ankara. Notamment dans l’hypothèse d’un chaos prolongé et de l’insurrection de certains segments de la population contre le régime des mollahs. La minorité kurde iranienne pourrait y jouer un rôle important et pourrait, comme à l’issue de la guerre d’Irak en 2003 ou à la suite de la révolution syrienne et de la guerre civile, y obtenir une autonomie ou un statut fédéral qui donnerait des idées aux Kurdes de Turquie. Les trois principaux groupes armés kurdes d’Iran, Komala, le PDKI et le PJAK – lié au PKK turc – ont ainsi réaffirmé leur volonté de renverser le régime, souligne le journaliste Murat Yetkin, sur son blog, en appelant à accélérer les négociations du processus de paix en cours ces derniers mois entre la guérilla kurde du PKK et la Turquie.

En cas de chaos généralisé en Iran, la presse turque craint également un afflux de réfugiés, comme ce fut le cas lors de la guerre civile en Syrie. “La situation en Iran n’est pas celle de la Syrie, un afflux de réfugiés n’est pas encore à prévoir, pour cela il faudrait que l’autorité politique et militaire de Téhéran s’effondre et que la Turquie ouvre ses frontières, nous en sommes loin”, rassure le quotidien Sözcü.

Les conséquences économiques du conflit, elles, se font déjà ressentir. La tension régionale et la hausse du cours du pétrole portent un coup à la monnaie nationale, la livre turque, et à la politique de lutte contre l’inflation menée depuis deux ans, s’inquiète le quotidien Türkiyequi souligne que, dans ces conditions, la Banque centrale turque ne procédera probablement pas à la baisse des taux d’intérêt attendue pour le 19 juin.