USA, Iran, Turquie, Israël, Russie : à chacun son projet en Syrie

L’Orient-Le Jour avec AFP, le 14/03/2025

Par Mounir RABIH

Près d’une semaine plus tard, de nombreux aspects concernant les affrontements qui ont lieu sur la côte ouest syrienne et qui ont notamment abouti à la tuerie de plusieurs centaines de civils alaouites demeurent non élucidés. L’implication directe de l’Iran, ancien allié du régime Assad dans cette escalade fait, par exemple, encore l’objet de débats.

Selon nos informations, Téhéran a appris l’existence de négociations sérieuses menées par les États-Unis pour établir un accord entre Damas et les Kurdes en amont de l’insurrection déclenchée par les ex-loyalistes contre le nouveau pouvoir syrien dans le réduit alaouite.

Le déclenchement des violences est-il alors lié à une volonté de tuer cet accord dans l’Å“uf ? L’Iran, en coordination avec la Russie, l’autre ancien allié du régime, aurait joué un rôle non négligeable dans le déclenchement de ces opérations, selon plusieurs responsables syriens interrogés par L’OLJ. Et le timing a de quoi interroger.

De l’autre côté de l’échiquier, les États-Unis ont joué un rôle décisif pour aboutir à la signature de cet accord historique, ce qui démontre une volonté de leur part de renforcer le pouvoir central incarné par le président par intérim, Ahmad el-Chareh.

Selon nos informations recueillies auprès de plusieurs sources diplomatiques et de responsables syriens, alors que les combats étaient intenses sur la côte, une salle d’opérations américaine, chargée de suivre le dossier syrien, faisait pression pour résoudre plusieurs dossiers en suspens, dont celui des relations entre Damas et les Kurdes, et entre Damas et les druzes. Les efforts américains se sont concentrés sur la réduction de l’escalade entre Damas et le nord-est de la Syrie, ainsi que sur la recherche d’un apaisement sur la côte, tout en donnant à M. Chareh une marge de manÅ“uvre pour faire cesser l’insurrection.

Washington a toutefois insisté sur la nécessité de geler les activités de certaines forces militaires fidèles à la Turquie, notamment la « Division Souleimane Chah ». Il est à noter que de nombreux massacres commis sur la côte syrienne sont attribués à ces groupes. Les États-Unis considèrent que le maintien de ces groupes pourrait déstabiliser le pouvoir, en raison de leur animosité à l’égard des Kurdes et des alaouites. Selon nos informations, les pressions américaines se poursuivent pour expulser ces deux factions de la côte syrienne, jusqu’à chercher à les dissoudre. Cela pourrait provoquer des tensions entre les États-Unis et la Turquie, principal parrain du nouveau pouvoir syrien.

Rivalité turco-israélienne 

Simultanément, des négociations russo-syriennes ont eu lieu. Ahmad el-Chareh l’a lui-même reconnu dans un entretien accordé à l’agence Reuters. Elles concernent le maintien des bases militaires russes à Lattaquié et Tartous. Cette nouvelle ne fait pas l’affaire des Européens qui voyaient d’un bon Å“il la sortie de Moscou – ancien allié du régime Assad – de l’équation syrienne. En conflit avec la Russie en Ukraine, les Européens ne souhaitent pas que l’ours russe conserve ses bases militaires en Méditerranée orientale. C’est notamment pour cette raison qu’ils avaient pris la décision de soutenir le nouveau pouvoir malgré les inquiétudes concernant son passé et le sort des minorités.

À l’instar de ce qui se passe en Ukraine, les Européens craignent les conséquences d’un rapprochement russo-américain en Syrie. D’autant qu’Israël pousse aussi de son côté pour le maintien des bases militaires russes qui permettent de limiter l’influence de la Turquie et laisse à Tel-Aviv tout le loisir d’opérer comme bon lui semble dans le ciel syrien.

Malgré leurs intérêts stratégiques communs, les États-Unis et Israël n’ont toutefois pas la même approche en Syrie. Tandis que l’État hébreu instrumentalise les divisions interconfessionnelles pour coopter les minorités et affaiblir le pouvoir central, Washington joue un rôle de médiateur dans l’objectif de stabiliser la situation.

Ce rôle entre en contradiction avec les intérêts d’Israël mais aussi de la Turquie, alors même que ces deux puissances ne cachent plus leur rivalité sur le sol syrien. La volonté de la Turquie d’établir des bases militaires en Syrie et les menaces d’Israël d’envahir le sud du pays sont autant de projets qui ne font pas l’affaire des États-Unis.

La Turquie se considère lésée par l’accord entre Damas et les Kurdes, auquel elle n’a pas pris part. Ankara insiste sur la nécessité de dissoudre les factions kurdes et refuse leur intégration dans les nouvelles formations syriennes. Cette situation a conduit le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, à planifier une visite à Damas pour discuter de tous les dossiers. Le projet israélien est moins clair. Son objectif est-il d’aboutir à une paix forcée avec un pouvoir affaibli ou à un morcellement de la Syrie ?

L’Iran, dans ce contexte, semble être la partie la plus faible et la plus absente. Téhéran aurait probablement voulu exploiter la situation chaotique en Syrie pour renforcer son influence et ouvrir de nouvelles routes d’approvisionnement. Mais l’insurrection a échoué. Si Tel-Aviv cherche à maintenir le chaos en Syrie pour avancer son projet, il pourrait considérer que l’Iran est le seul acteur prêt à investir dans ce chaos. À Damas, certains estiment que la décision finale dépendra des États-Unis et de ce qu’ils négocieront avec l’Iran, que ce soit une escalade ou un accord. Malgré tous les défis et les dangers, les responsables de Damas expriment néanmoins leur satisfaction quant à l’évolution de la situation et au soutien américain.

â—Š

Publicité