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Durant un sommet avec l’Union européenne, la Turquie a scellé un pacte pour contenir l’afflux de migrants et a obtenu le versement de 3 milliards d’euros.
Le Point, Â le 30/11/2015
De notre correspondante à Bruxelles, Loreline Merelle
Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu et le président turc Recep Tayyip Erdogan. © AFP PHOTO/ ADEM ALTAN
À Bruxelles, ce 29 novembre, par un dimanche pluvieux, la Turquie a eu son heure de gloire : les 28 chefs d’État européens se sont réunis pour un sommet en son honneur. Du jamais-vu. C’est donc tout sourire que le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, arrive dans la capitale bruxelloise, persuadé que ce « jour historique » marque un « nouveau départ » dans le processus d’adhésion du pays à l’Union européenne, au point mort depuis onze ans et le lancement officiel des négociations d’adhésion. Devant la caméra, le responsable turc affiche un optimisme débordant dont il ne s’est jamais départi ni à l’entrée ni à la sortie du sommet, l’un des plus courts jamais organisés – à peine trois heures. Un optimisme qui ferait presque oublier la raison d’être du sommet : freiner l’arrivée des migrants vers l’Europe.
Ahmet Davutoglu a des raisons d’être satisfait. Malgré un rapport calamiteux de la Commission européenne sur l’élargissement avec la Turquie, sorti en novembre, malgré les manifestations à Istanbul prévues le même jour pour la libération de deux journalistes emprisonnés, malgré le contexte de crise diplomatique avec la Russie, l’Union européenne a quand même voulu garder ses engagements pris deux semaines avant à Malte, notamment le versement de 3 milliards d’euros dans un fonds pour la Turquie ainsi que la tenue du sommet, plusieurs fois menacés de report. L’Union européenne s’est aussi engagée à ouvrir un nouveau chapitre d’adhésion avec la Turquie, à tenir un sommet à haut niveau tous les six mois avec le pays. Mieux encore, poussée par la Turquie, juste avant le sommet, l’Allemagne a organisé une réunion avec seulement huit pays – à laquelle la France n’a pas participé « pour des raisons d’organisation », selon Merkel – pour réinstaller des Syriens venus des camps en Europe.
Assis sur les valeurs démocratiques
Si aucun résultat ou engagement chiffré n’est sorti de cette réunion en marge, il n’en faut pas plus au Premier ministre turc pour dire que l’Europe et la Turquie « partagent la même destinée » avec l’Union européenne. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a beau répéter qu’il n’y a pas là de quoi « réécrire le processus d’adhésion avec la Turquie » et que les « standards restent les mêmes ». Sur le papier, les Européens acculés se sont assis sur les valeurs démocratiques, pour déballer à la Turquie un tapis rouge. Le Premier ministre turc a prévenu : il ne donnera aucune garantie sur la diminution du nombre de migrants arrivés en Europe. « J’aimerais vous dire que, oui, le nombre de migrants déclinera, mais nous ne pouvons rien dire parce que nous ne savons pas ce qui va se passer en Syrie », affirme-t-il.
Du côté européen, l’embarras était palpable parmi les chefs d’État, visiblement pressés d’en finir au plus vite. François Hollande a d’ailleurs été le dernier à arriver et est parti le premier, deux heures avant la fin de la réunion, pour rejoindre le président chinois. À 20 heures, le sommet était bouclé. La majorité des délégations ont rapporté qu’elles avaient parlé des droits de l’homme et de la liberté d’expression. « C’est un sommet cartésien, commandé par la raison », défend une source européenne.
Visas turcs
L’ouverture du chapitre de l’adhésion pourrait rester un simple symbole. « L’ouverture d’un chapitre ne signifie pas qu’on est d’accord avec ce qu’il y a dedans, mais qu’on est prêt à négocier », affirme une source diplomatique. Et cette conversation peut durer des années. La Turquie avait demandé l’ouverture de cinq autres chapitres, dont celui sur la liberté, la justice et la sécurité. Peine perdue. L’intransigeance de Chypre, opposant à la Turquie, a joué et la déclaration n’en a finalement retenu qu’un. Certes, les 28 s’engagent à verser une somme importante, bien au-delà des 51 millions d’euros jusqu’ici versés depuis le début de la crise en 2011. Cela reste cependant moins que les 7 milliards que le président Erdogan avait d’abord évoqués. Le financement comme la répartition de ces trois milliards d’euros divisent toujours les États membres qui ont préféré ne pas faire de « cuisine interne » en compagnie de leur homologue turc, mais se sont aussi bien gardés de définir quand le fonds sera rempli.
Le gouvernement turc ne devrait recevoir directement aucun subside direct, l’octroi du financement par projet étant administré par la Commission européenne. « Le plan européen servira uniquement au financement des projets en faveur des réfugiés », a affirmé la chancelière allemande. Objectif : financer la scolarisation des enfants ou encore un meilleur accès au marché du travail – les réfugiés n’ont pas le droit en Turquie de travailler et doivent passer par les réseaux parallèles et le marché noir -, mais aussi, et c’est moins clair, lutter contre l’immigration irrégulière… Par ailleurs, les Européens ont répondu par l’affirmative à la demande de libéralisation des visas turcs. La Commission européenne accélère le tempo et pourrait présenter une proposition pour exempter de visas de courte durée les Turcs en octobre 2016. Mais cette proposition est conditionnée par l’accélération en parallèle de la mise en oeuvre « complète » de l’accord de réadmission avec la Turquie. D’ici à juin 2016, la Turquie devra réadmettre ses ressortissants turcs en situation irrégulière, mais aussi les ressortissants des pays tiers qui ont transité par la Turquie.
L’UE sur la corde raide
Les gardes-frontières turcs devraient renvoyer tous « ceux qui ne font pas l’objet d’une protection internationale ». Les Afghans et les Pakistanais sont les principaux visés. Ils représenteraient moins d’un quart du nombre de migrants qui arrivent en Turquie*. Or, Ankara ne peut pas fermer sa porte à la majorité des migrants syriens qui passent les frontières turques à moins de faire du refoulement, ce qui est strictement interdit selon la Convention de Genève. Mais comment assurer qu’elle respecte bien ses principes ? Des organisations internationales l’accusent déjà de le faire. L’organisation Human Rights Watch affirme ainsi dans un article paru le 23 novembre que les gardes-frontières interceptent les Syriens à la frontière est et les repoussent par douzaines en Syrie ».
En faisant de la Turquie un partenaire « stratégique », les pays européens jouent sur la corde raide. Ils prennent le risque non seulement de se mettre à dos une partie de leur opinion publique, mais aussi de cautionner les agissements d’Ankara. Une responsabilité lourde à porter.
* Depuis janvier 2015, on compterait près de 32 % d’Afghans et 2 % de Pakistanais parmi les 379 000 personnes arrivées sur l’île de Lesbos, leur principal point de chute sur le territoire grec, selon un récent rapport du Haut-Commissariat pour les réfugiés (UNHCR).
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