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Le Télégramme, le 16/07/2023
Début février, ce séisme avait déjà fait plus de 55 000 morts. Désormais, les Turcs en redoutent les conséquences sanitaires… Avec l’explosion probable du nombre de cancers.
(Ozan Kose/AFP)
Les mâchoires de la pelleteuse attaquent la structure béante de l’immeuble pour en arracher les pans encore debout, qui s’écrasent dans un nuage de poussière. « Ils n’arrosent même pas ! », s’insurge Cagdas Can, 33 ans, militant écologiste de la plateforme Yeniden Insa (Reconstruire), en observant les mouvements des camions qui partent du centre de Samandag vers l’immense décharge à ciel ouvert, mitoyenne d’une des plus longues plages de Turquie.
Située à l’extrême sud de la province d’Hatay, la plus touchée par le séisme du 6 février qui a dévasté le sud du pays, mais aussi la Syrie, faisant plus de 55 000 morts, la ville côtière de Samandag vit dans un cocon de fine poudre grise qui noie l’horizon.
Cinq mois après la catastrophe, le chantier est colossal : le gouvernement turc a décompté près de 2,6 millions de bâtiments détruits. Problème : selon le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), il va falloir évacuer 116 à 210 millions de tonnes de gravats (1).
« Il y avait d’autres sites possibles… »
Dans cette province limitrophe de la Syrie, de nombreuses décharges ont été ouvertes : celle de Samandag, monstrueux pachyderme grisâtre balayé par les vents marins, jouxte la Méditerranée et la réserve naturelle d’oiseaux de Milleyha, site de ponte des tortues Caretta Caretta et des tortues vertes Chelonia Mydas, classées parmi les espèces en danger. « Il y avait d’autres sites possibles… Mais les entreprises privées qui ont remporté les appels d’offres (pour le déblaiement, NDLR) viennent ici pour économiser le carburant », accuse Cagdas Can. « Pour elles, tout ce qui compte, c’est de récupérer les fers et les métaux », lance-t-il aussi, en rappelant combien ces engins avaient fait défaut les premiers jours du désastre.
Avec son association, ils ont « formé des chaînes humaines pour barrer le passage aux camions. Mais les gendarmes sont intervenus et 18 personnes ont été interpellées. Moi, j’ai eu la clavicule cassée ».
« Personne ne porte de masque. Les chantiers de démolition ne sont pas bâchés, pas arrosés, les bennes des camions non plus, comme la législation l’oblige », remarque également le militant.
Les enfants sont les premiers touchés, ils toussent beaucoup, mais nous aussi
La population, lasse, a cessé de se mobiliser, regrette-t-il. Pourtant, elle s’inquiète tout autant que les défenseurs de l’environnement et les médecins de l’absence de précautions. « Les enfants sont les premiers touchés, ils toussent beaucoup, mais nous aussi. Dès qu’il y a du vent, tout est recouvert de poussière », constate Mithat Hoça, 64 ans, qui surveille son étal de primeurs dans le centre de Samandag.
« Avec toutes ces matières dangereuses, on va mourir de maladies respiratoires »
« On a survécu au séisme, mais cette poussière va nous tuer », soupire Michel Atik, fondateur et président de l’Association de protection de l’environnement de Samandag. « Avec toutes ces matières dangereuses, on va mourir de maladies respiratoires et de cancers du poumon ».
Installé dans le petit conteneur blanc qui lui sert de clinique au centre d’Antakya, à 26 km de Samandag, le Dr Ali Kanatli voit déjà défiler « conjonctivites, flambées allergiques, asthme, bronchites… ». Mais, surtout, ce sont les matières dangereuses contenues dans les gravats dispersées par la poussière et les conséquences sanitaires à long terme, dont une flambée de cancers, qui le préoccupent.
La Turquie n’a interdit l’amiante que tardivement, en 2013, rappelle-t-il, et la plupart des bâtiments touchés sont plus anciens. « En plus de l’amiante, on a du plomb dans les peintures et des métaux lourds, dont du mercure, dans les équipements électroniques », fait-il remarquer.
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