Turquie: le désastre de la stratégie de tension d’Erdogan
La Libération, le 07/09/2015
Par Marc Semo
Une embuscade menée dimanche dans l’extrême sud-est du pays aurait fait au moins 16 victimes parmi les militaires turcs.
C’est un implacable engrenage de guerre civile. L’embuscade menée dimanche dans l’extrême sud-est du pays aurait fait 16 victimes parmi les militaires turcs selon l’armée, voire 32 selon les assaillants. C’est la plus sanglante depuis la reprise des affrontements, fin juillet, entre Ankara et la guérilla kurde. Depuis des années, aucune opération des rebelles kurdes turcs du PKK n’avait causé, en une seule fois, autant de victimes. Les accrochages sont quotidiens depuis fin juillet et ont coûté la vie à quelque 70 militaires et policiers. Les bombardements et les opérations de représailles auraient, selon les autorités turques, permis d’éliminer un millier de «terroristes».
Tout le sud-est du pays peuplé en majorité de Kurdes sombre dans la violence au point que certains observateurs s’interrogent sur la possibilité de pouvoir, dans certaines parties de la région, y mener normalement le scrutin anticipé du 1er novembre. L’évidence des effets dévastateurs de la stratégie de la tension du président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan est là . Son parti l’AKP, au pouvoir depuis 2002, n’avait pas réussi à remporter la majorité le 7 juin à cause du rejet par une bonne partie de l’opinion des projets d’Erdogan pour l’instauration d’un régime présidentiel. Jusque-là , le «nouveau sultan», comme l’appellent ses adversaires, avait gagné toutes les élections et avait même été élu chef de l’Etat au suffrage universel en août 2014 dès le premier tour avec 50,2 %. Toujours pris dans son ubris, il a choisi l’escalade et a rallumé le conflit avec le PKK. Dans l’espoir de galvaniser encore un peu plus l’électorat nationaliste en vue d’un nouveau scrutin, rendu obligatoire par l’impossibilité de constituer un gouvernement.
Entamé fin 2012 par des négociations directes entre des représentants d’Erdogan et le leader de la guérilla Abdullah Ocalan, condamné à la prison à vie, le processus destiné à trouver une solution politique à ce conflit (40 000 morts depuis 1984) et à la question kurde en Turquie (qui représente 15 % à 20 % de la population) est Âmoribond. La monnaie nationale s’effondre. Les réseaux sociaux comme la presse d’opposition sont dans le collimateur des autorités, comme en témoignait dimanche l’occupation des locaux du grand quotidien Hurriyet par des militants de l’AKP. Alors que la Turquie devrait et Âpourrait jouer un rôle clef en vue d’une solution de la crise syrienne et dans l’éradication de l’Etat islamique, la priorité du pouvoir est plus que jamais la lutte contre le PKK et son frère syrien le PYD. La crédibilité d’Ankara est désormais au plus bas parmi ses alliés.
Mais cette fuite en avant n’a même pas eu les effets électoraux escomptés. Dans les sondages, l’AKP plafonne autour de 40 %, comme en juin. Le parti kurde légal HDP, dont le régime espérait l’effondrement, se maintient. Et très souvent, lors des enterrements de militaires et de policiers tués, la foule conspue les représentants du pouvoir hurlant que ces «martyrs» ne sont pas tombés pour la patrie mais pour «le palais» et les ambitions mégalomaniaques de celui qui l’occupe.
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