L’appel marque un tournant dans le conflit entre le PKK et la Turquie, qui a tué des dizaines de milliers de personnes ces quarante dernières années. « Le PKK est né dans le cadre de la négation de la réalité kurde et des interdits imposés aux libertés, à commencer par la liberté d’expression », écrit Abdullah Öcalan. « Il n’y a pas, il ne peut y avoir d’autre voie que la démocratie (…). Pour l’intégration à l’État et à la société, réunissez-vous en congrès et annoncez votre décision », lance-t-il au PKK.
Il n’y a pas, il ne peut y avoir d’autre voie que la démocratie (…). Pour l’intégration à l’État et à la société, réunissez-vous en congrès et annoncez votre décision
Abdullah Öcalan, fondateur du PKK
Cet appel est le résultat de près d’un an de négociations et d’un autre appel, prononcé au Parlement turc en octobre dernier par Devlet Bahçeli, dirigeant du Parti d’action nationaliste (MHP). Cet allié indispensable du président Erdogan, qui dirige depuis trente ans le principal parti de l’extrême droite nationaliste turque, avait stupéfié le pays en laissant entrevoir une possible libération d’Abdullah Öcalan. En échange, il exigeait que « le chef terroriste annonce de façon unilatérale la fin du terrorisme et la dissolution de son organisation ».
« Les développements régionaux qui ont commencé à Gaza le 7 octobre 2023 et se sont propagés à toute la région, y compris à l’Iran, inquiètent beaucoup les milieux nationalistes et sécuritaires en Turquie », observe Roj Girasun, directeur de l’institut Rawest, spécialisé dans la question kurde. « Leur préoccupation est de régler le problème kurde en Turquie avant que celui-ci ne prenne des proportions régionales. Ce serait une erreur d’y lire une volonté de démocratisation. Les préoccupations sont sécuritaires et unitaires. »
« La nouvelle donne en Syrie ajoute un sentiment d’urgence chez ceux qui dirigent le pays et sont persuadés que l’Occident veut utiliser les Kurdes pour diviser la Turquie », complète Hakan Tahmaz, président de la Fondation pour la paix, qui milite depuis des décennies pour une solution pacifique. « Mais soyons pragmatiques : à travers le monde, les processus de paix comparables qui ont réussi n’ont jamais été menés dans une perspective de démocratisation. Ils ont toujours été le résultat d’intérêts divers qui ont fini par converger. » Pour Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis vingt-deux ans, il s’agit notamment d’obtenir le soutien des Kurdes pour prolonger sa présidence au-delà de 2028.
Une première étape
Le chemin vers la paix sera long. « L’appel ne résout pas le problème, ce n’est qu’une première étape », souligne Öztürk Türkdogan, vice-président du parti pro-kurde DEM. « Pour que son appel puisse être appliqué, il faut que M. Öcalan dispose de conditions de travail libres. Lors de la précédente tentative en 2013-2015, cela n’était pas le cas, et c’est ce qui avait fait dérailler le processus », estime Öztürk Türkdogan.
Ce responsable entend par là qu’Abdullah Öcalan puisse entrer en contact avec qui il le souhaite (à commencer par les chefs militaires du PKK installés dans le nord de l’Irak), qu’il puisse recevoir en prison ceux qu’il veut recevoir ou qui souhaitent être reçus – avocats, journalistes, responsables politiques, membres de la société civile… Les autorités turques laisseront-elles faire ? Et le cas échéant, si le PKK renonce aux armes, les citoyens kurdes de Turquie peuvent-ils espérer davantage que la fin des combats, que tant appellent de leurs vÅ“ux ? Quid des demandes de libération des prisonniers politiques, d’une éducation en langue kurde, de la révision des lois antiterroristes ?
«Politique démocratique et dimension juridique»
Officiellement, rien n’a été promis. Pas une fois le pouvoir n’a parlé de résoudre la « question kurde », seulement de la « fin du terrorisme ». Mais selon Öztürk Türkdogan, si un climat de paix s’installe, Recep Tayyip Erdogan et son allié ultranationaliste seront contraints à des concessions. « Pour justifier son autoritarisme, quel prétexte ce pouvoir a-t-il toujours utilisé ? Le terrorisme ! Si les armes se taisent, le pouvoir n’aura plus cette excuse, il devra entreprendre des réformes », avance ce responsable kurde.
Dans le cas contraire, ajoute-t-il, « il se retrouverait face à une résistance beaucoup plus forte. Car, comme nous l’avons toujours dit, le PKK n’est pas la cause, mais la conséquence. » Dans une note dévoilée après la lecture de sa lettre, Abdullah Öcalan souligne d’ailleurs que son appel implique « une politique démocratique et une dimension juridique ».
L’expérience des échecs passés et ces incertitudes – auxquelles il faut ajouter celles qui concernent le sort des forces kurdes de Syrie, alliées des États-Unis mais émanation du PKK, qu’Ankara menace d’attaquer si elles refusent de désarmer elles aussi – poussent les Kurdes de Turquie à l’inquiétude et à la prudence. « Que se passera-t-il si ce processus échoue ? Est-ce que ce ne sera pas pire qu’avant ? Le manque de confiance est palpable », constate Roj Girasun, de l’institut Rawest. Des inquiétudes qui n’empêchent pas, ajoute le chercheur, « l’espoir et l’enthousiasme » face à ces efforts de paix.