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Orient XXI, le 01/11/2023
De notre envoyé spécial Chris Den Hond
Réuni en congrès à Ankara, le Parti démocratique des peuples (HDP), pro-kurde, qui incarne une partie de l’opposition en Turquie, change de nom et fait son introspection après la douloureuse défaite électorale de mai 2023. Alors que de nombreux dirigeants du parti sont en prison, la tactique politique et l’alliance avec la gauche ont été au cœur de son récent congrès.
Istanbul, 24 septembre 2022. Des partisans assistent à un congrès pour lancer l’« Alliance travail et liberté », une coalition de six partis dirigée par le HDP. Yasin Akgul/AFP
Sous la menace permanente d’une interdiction, le deuxième parti d’opposition en Turquie, le Parti démocratique des peuples, HDP (pro-kurde) a tenu son 4 ème congrès à Ankara le 15 octobre 2023, alors que plus de 3 000 de ses militants croupissent dans les geôles turques, pour la plupart pour de simples délits d’opinion. Parmi les dirigeants emprisonnés, le très populaire député Selahattin Demirtaş ou l’ancienne maire de Diyarbakir, Gültan Kışanak. Les milliers de participants au congrès ont fait vibrer le stade de sport de la capitale turque avec ce slogan : « Les prisonniers politiques sont notre fierté ».
Aussi, si la morosité hante les couloirs, c’est en raison de la défaite électorale de l’opposition unifiée en mai 2023 qui a laissé des traces. « Il y a moins d’enthousiasme que lors des congrès précédents, nous confie Özgül Saki, élue d’Istanbul pour le mouvement socialiste et féministe. Les gens sont toujours très déçus. Il est difficile dans l’atmosphère politique actuelle de relever la tête ».
Une alliance qui a été un piège
Le 14 mai 2023, Recep Tayyip Erdoğan arrive en tête du premier tour de l’élection présidentielle, laissant la moitié de la population consternée. Son opposant Kemal Kılıçdaroğlu obtient moins de votes que prévu alors qu’il est soutenu par le HDP. L’espoir s’envole d’une défaite d’Erdoğan dans un pays asphyxié par un gouvernement islamo-conservateur et à tendances fascistes. Une bonne partie de l’opposition y est toujours muselée, emprisonnée ou en exil.
Le choix du HDP de ne pas présenter de candidat à l’élection présidentielle et de s’allier au candidat kémaliste n’avait rien d’évident pour les Kurdes et dans la gauche turque. Mustafa Kemal Atatürk a créé la Turquie « moderne » il y a cent ans avec comme slogan : « Un seul pays, un seul peuple, une seule langue, un seul drapeau ». Kılıçdaroğlu incarnait ce courant kémaliste avec son Parti républicain du peuple (CHP), connu pour sa politique négationniste vis-à -vis des Kurdes. Il s’agissait donc de s’allier avec cet ennemi pour faire tomber un ennemi encore plus dangereux. Gultan, assistante parlementaire, l’explique ainsi : « Si jamais Erdoğan avait gagné avec une opposition divisée et un candidat du HDP présent au premier tour, tout le monde aurait accusé les Kurdes d’avoir raté une occasion historique de le faire tomber ».
Une surprise, la victoire d’Erdoğan ? « Pas vraiment », nous répond Sebnem Oğuz.
Erdoğan a graduellement pris le contrôle de tout l’appareil d’État : les médias, l’appareil judiciaire, l’éducation nationale. La Cour suprême est entièrement dans les mains du Parti de la justice et du développement (AKP). Il est prouvé qu’il y a eu de la fraude, surtout dans les zones affectées par le tremblement de terre, où beaucoup de bulletins de vote étaient aux noms d’électeurs qui n’étaient même pas sur place. Dans les zones kurdes aussi, il y a eu fraude, c’est prouvé.
Des choix mal négociés
Isolés, frappés par la répression notamment dans l’éducation nationale, l’université et les hôpitaux, le mouvement kurde et les progressistes turcs avaient besoin d’une ouverture démocratique pour se recomposer, ce qui les conduit à choisir d’appeler à voter pour le kémaliste Kılıçdaroğlu. Mais la méthode adoptée pour ce choix ne fait pas l’unanimité. Le HDP n’a-t-il pas bradé son autonomie un peu trop vite ? Dans les coulisses du congrès, plusieurs participants nous font part de leur mécontentement à ce propos, que résume Gultan :
Nous aurions dû exiger de Kılıçdaroğlu des engagements concrets par écrit avant de lui donner nos voix, par exemple la libération des prisonniers politiques et la réinstallation de maires déchus par Erdoğan. Mais Kılıçdaroğlu était prisonnier de son alliance avec cinq autres partis, tous plus nationalistes les uns que les autres, et hystériquement antikurdes.
Autre élément de crispation dans le mouvement : la déclaration en faveur de KılıçdaroÄŸlu par Selahattin DemirtaÅŸ. Après avoir hésité, ce dernier a fini par apporter, du fond de sa cellule, son soutien au candidat kémaliste, mettant les instances de son parti devant le fait accompli. La grogne est d’autant plus importante que, pour une partie du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Demirtas est un peu trop populaire et fait de l’ombre à un autre prisonnier, Abdullah Öcalan. La fin de l’isolement et la libération de ce dernier est une revendication importante pour les congressistes. Öcalan, en isolement total dans la prison d’Imrali depuis trois ans, a été emprisonné en 1999 grâce à une opération conjointe des États-Unis, de la Turquie et… d’Israël.
Un rôle alternatif à valoriser
Les intervenants ne laissent d’ailleurs aucun doute sur le soutien clair et net des Kurdes au peuple palestinien, que rappelle Tülay Hatimogullari, nouvelle coprésidente du Parti pour l’égalité des peuples et la démocratie (Hedep), le nouveau nom du HDP. Elle-même est arabe d’Alexandrette (Hatay), et incarne la volonté du mouvement politique kurde de continuer sa politique d’alliance avec les autres communautés opprimées en Turquie. Pour Sebnem Oğuz :
On peut faire pas mal de critiques au HDP, mais il possède la manivelle qui peut faire bouger les choses. Tous les autres partis sont nationalistes. Le HDP est contre toute sorte de nationalisme, même kurde. C’est le seul parti qui reconnaît les différents groupes ethniques, les Kurdes, mais aussi les Arméniens, les identités religieuses opprimées comme les Alévis, ou le mouvement LGBT. Ce n’est pas évident de soutenir ouvertement le mouvement LGBT. Cela ne passe pas toujours chez une partie de la base, mais en même temps, c’est le HDP qui a le plus grand nombre de féministes élues au parlement.
À ce congrès du doute et de la remise en cause, dans un climat politique difficile, d’autres critiques ont visé la démocratie interne du parti. Pour l’assistante parlementaire Gultan :
Les candidats étaient parfois parachutés, venant d’autres régions et inconnus sur place. Ils passaient souvent devant les militant(e)s qui bossaient jour et nuit, prenaient des risques. Le congrès a décidé qu’à l’avenir, les candidats seront désignés par la base. La façon verticale de choisir les candidats pour les élections ne passe plus.
Kobané, le procès de la honte
L’acharnement des pouvoirs turcs à museler la direction kurde du HDP se révèle encore mieux au procès Kobané. Le lendemain du congrès, nous assistons à une séance du tribunal d’Ankara, où 108 cadres du parti sont accusés d’avoir provoqué en 2014 la mort de 37 personnes suite aux manifestations en solidarité avec Kobané. Dans cette ville kurde syrienne frontalière de la Turquie, des guérilléros du PKK et des Unités de protection du peuple (YPG) défendaient les dernières maisons contre les assauts de l’Organisation de l’État islamique (OEI). Au prix d’énormes pertes, la ville ne tombe pas, et la coalition internationale décide finalement, presque trop tard, d’aider militairement les combattants. C’est le début de la fin de l’OEI.
Pendant la bataille de Kobané, non seulement l’armée turque ferme les frontières, empêchant les Kurdes de Turquie de venir en aide à la résistance, mais pire, des journalistes comme Can Dündar ont prouvé que des convois humanitaires turcs transportaient en réalité des armes destinées aux djihadistes syriens. Le HDP appelle alors à des manifestations de soutien et critique l’inaction d’Ankara dans la lutte contre l’OEI. Certaines de ces manifestations dégénèrent et le pouvoir accuse le HDP des morts qui en ont résulté. Aujourd’hui, 39 membres de sa direction se trouvent toujours en prison, tandis que d’autres sont assignés à résidence. Le procureur demande au total 300 ans de prison contre Selahattin Demirtaş. D’autres accusés risquent la prison à vie.
Nous sommes émus lorsque Nazmi Gür, élu et ancien responsable de l’Association des droits humains (IHD), qui risque également la prison à vie, nous crie malgré les trente mètres qui nous séparent dans le tribunal : « Votre présence signifie beaucoup pour nous, vive la solidarité internationale ! » Il n’est pas certain que cela fasse écho auprès des autorités turques qui viennent de bombarder plus de 150 infrastructures au Rojava et tentent toujours d’exterminer la guérilla du PKK, dans le nord de l’Irak. Le Hedep a du pain sur la planche.
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