Syrie. La Turquie espère contraindre Assad à s’asseoir à la table des négociations

Courrier International, le 00/12/2024

Depuis des mois, Ankara tentait sans succès de négocier avec le régime de Damas en vue d’obtenir une alliance contre les Kurdes et le retour des réfugiés syriens présents sur son sol. Les coups durs essuyés par Bachar El-Assad, qui a perdu deux villes clés en une semaine face aux rebelles, devraient le contraindre à prendre langue avec Ankara, estime la presse turque.

La dernière rencontre officielle entre le président syrien, Bachar El-Assad (à droite), et le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Alep, le 6 février 2011, quelques semaines avant le soulèvement anti-Assad qui s’est mué par la suite en guerre civile. PHOTO SANA/AFP

La Turquie apparaît comme la grande gagnante de l’offensive qui a permis aux rebelles islamistes syriens de Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) et aux groupes qui lui sont alliés de prendre la ville d’Alep, puis de poursuivre vers le sud et de conquérir la ville de Hama, jeudi 5 décembre. Ankara a la réputation d’avoir tissé des liens étroits avec les rebelles syriens.

Cependant, de nombreuses sources dans la presse turque, comme le quotidien Yeni Safak, soulignent que l’offensive qui a débouché sur la prise d’Alep, le 30 novembre, n’a pas été orchestrée par la Turquie et avait même été repoussée à plusieurs reprises à la demande d’Ankara. Selon certaines sources, la Turquie craignait l’instabilité qu’elle risquait d’engendrer et, en cas de défaite des rebelles, une possible nouvelle vague de réfugiés fuyant vers son territoire.

Comme le souligne le média en ligne Medyascope, la déroute éclair des troupes d’Assad s’expliquerait par leur manque d’équipements, un moral déjà bas, une réduction de la présence sur place des milices pro-iraniennes qui les soutiennent ainsi que par l’incapacité de l’aviation russe à fournir le même appui aérien – en raison entre autres de la guerre en Ukraine.

“Une défaite pour Assad, la Russie et l’Iran”

“Stratégiquement, c’est une victoire pour la Turquie et une défaite pour Assad, mais aussi pour la Russie et l’Iran”, souligne le média. La Turquie se voit donc renforcée pour d’éventuelles négociations dans le cadre du “processus d’Astana”, réunissant depuis 2017 Turcs, Iraniens et Russes. Celui-ci avait permis, il y a quatre ans, de geler les combats à Idlib, alors dernier fief rebelle ouvertement hostile à Bachar El-Assad.

Il n’y a plus de contacts directs entre Ankara et Damas, même si, ces dernières années, la Turquie avait tenté d’ouvrir des négociations avec le régime de Bachar El-Assad. Au cours de l’été, le président islamo-nationaliste turc, Recep Tayyip Erdogan, a même invité à plusieurs reprises Bachar El-Assad à “se rendre en Turquie”, rappelait en juillet l’agence Anadolu. Il est allé jusqu’à évoquer l’époque où ils passaient ensemble des vacances en famille, en Turquie.

Malgré les tentatives de Moscou pour le convaincre, le dictateur syrien avait refusé ces rencontres, posant comme préalable à toute négociation le retrait des troupes turques présentes dans le nord de la Syrie. “Bachar El-Assad devrait désormais accepter sans conditions de dialoguer avec la Turquie, c’est dans son intérêt et dans celui de son pays”, déclarait le leader de l’extrême droite turque et indispensable allié d’Erdogan Devlet Bahçeli le 3 décembre, rapporte le quotidien Sabah.

Retour des réfugiés et affaiblissement des Kurdes

Il existe deux dossiers majeurs en Syrie que la Turquie entend régler soit par la négociation, soit par la force : le retour d’une partie des réfugiés syriens présents sur son sol et la lutte contre les Kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS). Ces derniers tiennent plusieurs régions du nord et de l’est du pays depuis qu’ils ont chassé les djihadistes de l’État islamique (EI), mais Ankara les considère comme hostiles en raison de leur proximité avec le PKK, la guérilla kurde de Turquie.

“Le fait que la majorité des réfugiés syriens en Turquie soient originaires des régions d’Idlib et d’Alep [récemment conquises] devrait faciliter leur retour, ce qui est une bonne chose pour notre pays”, se félicite Ömer Önhon, qui a été le dernier ambassadeur turc à Damas, dans le média en ligne Yetkin Report. “Quelque 42 % des 3 millions de Syriens présents en Turquie viennent de la région d’Alep”, a confirmé le ministre de l’Intérieur, Ali Yerlikaya, rapporte le média en ligne Gazete Duvar.

Les retours “volontaires” vers la Syrie se sont accélérés ces dernières années, du fait de la baisse de l’intensité des combats, de la crise économique en Turquie et du racisme croissant à l’égard des réfugiés syriens. La politique mise en place par les autorités a aussi joué un rôle : des milliers de réfugiés seraient expulsés de force du territoire, dénoncent des associations de défense des droits humains.

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