Sanglants règlements de comptes au sein de la mafia turque

Le Point, le 26/09/2023

Par Guillaume Perrier

Après la tuerie du Airbnb de Châtonnay, dans l’Isère, c’est en Grèce qu’a eu lieu le dernier épisode de la guerre entre les Dalton et leurs rivaux.

Les assaillants ne leur ont laissé aucune chance. Prise dans une embuscade sous les pins, sur une petite route le long de la mer, à Artemida, à 20 kilomètres d’Athènes, la Ford bleue dans laquelle circulaient les victimes a été criblée d’au moins 60 balles de Kalachnikov. À l’intérieur et à côté du véhicule ont été retrouvés les corps de six hommes, pour la plupart âgés de moins de 25 ans, tous originaires de Turquie et présumés membres du gang de Baris Boyun, alias « les Dalton Â».

Six Turcs liés au gang des Dalton ont été assassinés près d’Athènes le 10 septembre. Leur photo a été publiée sur le réseau social TikTok.  © DR
 
Comme d’autres attaques précédentes, l’exécution a été revendiquée en moins d’une heure sur le réseau social TikTok, par des personnes se réclamant de bandes rivales. L’une d’entre elles se fait appeler « les Lucky Luke Â», redkit en turc. Mais avec six morts sur le carreau, « il s’agit de la plus importante exécution de ce type de l’histoire de la mafia turque Â», estime le journaliste Cengiz Erdinç, sur le site Medyascope.

La brutalité de l’attaque a choqué la Grèce, peu coutumière de tels règlements de comptes entre clans criminels. La mafia albanaise a d’abord été suspectée. Mais rapidement, les enquêteurs ont compris que les six morts venaient de Turquie et qu’ils appartenaient de près ou de loin au redoutable gang des Dalton. Selon les premiers éléments rapportés par les médias grecs, les passagers de la Ford possédaient de fausses cartes d’identité françaises. Et l’un d’entre eux, comme le confirme le journaliste turc Erk Acarer, serait Ersu Büyüktunç, un lieutenant de Boyun. Il était la principale cible des tueurs.

Ce carnage sonne comme une opération de représailles contre les Dalton après le double homicide survenu en France, à Châtonnay, début août. Dans le village de l’Isère, un dénommé Halil Ay et l’un de ses acolytes présumés avaient été retrouvés morts au beau milieu de l’été. Le premier, membre des Anucurlar, un gang de trafiquants de drogue implanté dans les quartiers populaires d’Istanbul, avait été abattu de douze balles dans le gîte qu’il avait loué. Le soupçon s’était aussitôt porté sur les Dalton de Baris Boyun. Halil Ay avait déjà échappé de peu à une spectaculaire tentative d’assassinat, début juillet, sur le pont de la Corne d’Or, à Istanbul, et les organisations mafieuses se livrent à une guerre farouche pour le contrôle du marché de la drogue.

Un ancien des services de renseignement

Les investigations de la police grecque ont rapidement permis d’interpeller un suspect dans cette dernière affaire. Süleyman D., un ressortissant turc de 32 ans, a été arrêté à l’aéroport d’Athènes alors qu’il embarquait pour l’Italie. Des armes et des faux papiers ont été retrouvés à son domicile. L’homme présente un profil intrigant. Ancien policier, ex-officier des services de renseignement turcs, le MIT, l’homme s’était reconverti comme passeur pour des criminels et des opposants en fuite. La semaine dernière, il aurait été chargé de faire transiter les six Dalton depuis la Turquie et de les amener à l’aéroport d’Athènes, d’où ils devaient se rendre lundi 10 septembre en Italie… C’est dans ce pays que s’est réfugié leur chef, Baris Boyun, assigné à résidence dans la station balnéaire de Rimini. Au moment de l’attaque, le suspect aurait réussi à sauter de la voiture et à s’échapper. Sa complicité avec les tueurs ne laisse guère de doutes. Les assaillants armés sont recherchés. Au moins quatre autres personnes auraient participé à l’embuscade.

Cette série d’assassinats expose au grand jour la lutte sanglante à laquelle se livrent les clans criminels turcs qui se sont épanouis dans l’ombre du pouvoir de Recep Tayyip Erdogan. En Turquie, leur emprise s’est renforcée ces dernières années, favorisée par la crise économique, l’instabilité politique et par la proximité de certaines figures du milieu avec les cercles politiques. L’ancien ministre de l’Intérieur Suleyman Soylu est accusé par l’opposition d’avoir protégé certains de ces groupes mafieux. Leur champ d’action s’étend désormais bien au-delà des frontières de la Turquie. En Italie, en France, en Grèce, en Suisse où la justice s’intéresse à leur présence… Quel sera le prochain théâtre de la guerre des Dalton contre les Lucky Luke ?

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