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GEO, le 25/05/2025
Par Anne Chaon
Le danseur coiffé d’astrakan entre en piste en claquant ses talons bottés sur le parquet. La taille cintrée dans sa redingote noire, reins cambrés, torse bombé, offert bras en croix à un triomphe certain, il virevolte entre les tables du café Pouchkine, rue Atatürk, la principale artère de Kars. Sous le portrait du poète russe accroché au mur de briques, entre les plats d’oie rôtie circulant sur des lits de semoule, c’est le Caucase qui résonne.
Nous n’en sommes pas loin, dans ce recoin de Turquie aujourd’hui aux frontières de l’Arménie et de la Géorgie, autrefois de l’Empire russe, puis de l’URSS.
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Une région qui garde la mémoire des empires qui s’y sont croisés
À Kars, capitale régionale à 1 500 kilomètres à l’est d’Istanbul et des langueurs du Bosphore, réputée pour ses fromages et la rigueur de son climat, certains se souviennent avoir parlé, enfant, la langue de Pouchkine. Et pour cause : ils sont les derniers descendants des Malakans (parfois appelés Moloques) et des Doukhobors, deux communautés religieuses nées en Russie à la fin du XVIIIe siècle. Ces chrétiens, jugés hérétiques et condamnés par l’Église orthodoxe russe, avaient en commun, entre autres, leur refus des armes… et la consommation de lait même pendant le carême, ce qui leur valut l’excommunication. Ils priaient Jésus mais avaient abjuré la croix et rejetaient la médiation des prêtres. Étouffés par l’étroite surveillance de la police tsariste, ces croyants pacifistes ont commencé à gagner le Caucase au milieu du XIXe siècle pour se mettre à l’abri, essaimant jusqu’aux actuels territoires de Géorgie, d’Arménie, d’Azerbaïdjan et jusqu’à Kars, dans le nord-est de l’Empire ottoman, où GEO s’est rendu à la rencontre de leurs descendants.
Dans cet extrême-orient turc, les hivers sont blancs, coupants comme des lames, et les étés, brûlants. Les printemps, tourmentés et sauvages, traversés d’orages intenses et de tempêtes de grêle, comme en ce mois de mai, avant d’éclore en milliers d’herbes folles et de fleurs multicolores qui illuminent la steppe. Cernée de hauts plateaux culminant à plus de 2 500 mètres d’altitude, Kars est considérée comme la ville la plus froide de Turquie. Avec des températures tombant jusqu’à -20° C en hiver, les quelque 91 000 habitants de la cité aiment se tenir chaud dans des cafés comme le Pouchkine, ou le 1919, au pied de la forteresse dominant Kars, repaire préféré des étudiants pour ses latte à la cannelle et ses cheesecakes, ses larges banquettes et surtout, son Wi-Fi. Avec des frontières mouvantes aux confins des empires, la région fut un vaste chaudron dont les bouillonnements prirent souvent l’ampleur d’éruptions aux retombées tragiques. La population, en première ligne, n’a cessé d’être déplacée au gré des guerres et des conquêtes. Chrétiens, musulmans, Géorgiens, Arméniens, Azéris, Turcs et Kurdes… Plus qu’ailleurs en Turquie, toutes les communautés du pays s’y sont côtoyées, avant d’être unifiées sous un drapeau unique quand Mustafa Kemal Atatürk fonda la république de Turquie en 1923.
Turcs, les habitants de Kars le sont jusqu’au fond de l’âme quand résonne l’hymne à la gloire du père de la nation, repris à pleins poumons par les convives du café Pouchkine qui acclament les danseurs. Kars vit passer le poète russe en chemin pour retrouver les troupes du tsar en Anatolie. Après les Perses, les Romains, les Seldjoukides, les Arméniens et les Ottomans, la ville fut occupée par les Russes (1878-1921), qui ont tracé son plan contemporain.
Une région unique en Turquie
« Quand on pense à la Turquie, on imagine Istanbul, les plages, le patrimoine byzantin et ottoman… La région de Kars ne ressemble absolument pas au reste du pays. C’est un coin unique, exposé à un climat rude (nous avons expérimenté des orages de grêle impressionnants), où l’on se sent toujours entre deux mondes car les frontières et les populations n’ont cessé d’y être déplacées. Ce qui est saisissant aussi, c’est l’espoir vivace des habitants de Kars de se rapprocher de l’Arménie voisine, avec laquelle ils se sentent une communauté de destins », Anne Chaon, journaliste.
Aleks, le dernier Doukhobor de Kars
Le long des rues à angles droits, les maisons basses aux façades pastel et chantilly, ou noires du basalte dont elles sont bâties, alternent avec les boutiques de miel et de fromage, deux spécialités de la province.
Dans celle où il travaille, élégante avec ses grands comptoirs en bois sombre et ses bocaux de miel alignés par saison et par couleur, du blond crémeux au brun profond du châtaignier, Aleksiyevic Aleksi Degirmencioglu sert avec délicatesse un thé de sa confection, légèrement infusé de cannelle et de trois clous de girofle, « chaud mais pas brûlant », précise-t-il. Menu dans son costume croisé beige, le visage labouré de profonds sillons et percé d’un regard bleu faïence, « Aleks » est à 60 ans le dernier Doukhobor de Kars et sans doute de Turquie, enfant unique né ici de parents qui ne parlaient que russe à la maison. Son arrière-arrière-grand-père est arrivé dans les années 1890, quittant les rives de la mer Noire.
Les Doukhobors sont souvent confondus avec les autres «derniers Mohicans» de la région, les Malakans, dont les préceptes étaient proches. Déterminés à renoncer à la violence, les Doukhobors (« lutteurs de l’esprit » en russe) mirent le feu à leurs armes en 1895 à Karahan, un village proche de Kars. Un lieu où se rend d’ailleurs régulièrement en pèlerinage la diaspora doukhobor, concentrée essentiellement au Canada. « Quand je vois une arme, ça me retourne l’estomac, on dit que les armes nous salissent les mains », remarque Aleks.
Au milieu des années 1980, il a obtenu de finir son service militaire de dix-huit mois aux cuisines, après trois mois de brimades. Aujourd’hui, Aleks, qui s’est converti à l’islam pour pouvoir se marier, ne pratique plus vraiment sa religion mais le port des armes reste sa ligne rouge. Quant aux Malakans, ils ont adopté une large ceinture de feutre à la taille, en lieu et place d’un poignard ou d’une arme à feu.
Deux sectes chrétiennes au destin commun
Que reste-t-il de ces chrétiens pas comme les autres ? À Porsuklu, le village assoupi de sa naissance à quarante minutes au nord de Kars, noyé sous la grêle de printemps, Aleks désigne l’emplacement de la maison familiale, aujourd’hui disparue. Seule subsiste la ruine du moulin de son père, qui était meunier. Hormis un coq braillard, rien ne bouge. Un arc-en-ciel cinégénique éclaire le ciel ardoise et une fumée s’élève au-dessus des toits. Elle provient d’une petite maison, celle de Kemal – policier en retraite, il refuse de donner son patronyme – tout juste revenu après cinquante ans d’absence.
Dans son unique pièce surchauffée par un poêle à bois, il se souvient bien «des maisons des Malakans». Aleks rit sous cape. Personne dans la région ne fait la différence, ténue il est vrai – de minimes variations de leurs cultes –, entre Malakans et Doukhobors, deux sectes chrétiennes au destin commun : la plupart étaient des paysans, éleveurs de vaches ou meuniers, réputés pour la qualité de leur farine et de leur lait. Leurs villages obéissaient au même plan rectiligne, dénué de fantaisie, soit une rue principale, bordée de part en part de maisons basses en bois au toit de chaume.
Certains d’entre eux, autour de Kars, bataillent contre l’oubli. « Je veux empêcher que cet héritage disparaisse », explique Vedat Akçayöz, 69 ans, Malakan par sa mère, Azéri d’Arménie par son père. Les Malakans – dérivé du mot russe moloko signifiant « lait » –, s’appelaient eux-mêmes « chrétiens spirituels « . Vedat résume à lui seul la complexité des liens et des origines dans ces contrées disputées. D’où sa passion à remonter le temps et renouer les fils de ces destinées contrariées. Président de l’Association culturelle de Kars, photographe, historien et archéologue autodidacte, intarissable sur les secrets de la région, il se dédie depuis plus de trente ans à la mémoire de ces croyants et à la réhabilitation d’Ani – son autre passion –, ancienne capitale du royaume d’Arménie. Il resterait selon lui tout au plus une quinzaine de familles malakans autour de Kars. Sa propre génération a préféré s’installer dans les grandes villes de l’ouest, comme Istanbul ou Izmir.
Malakans de Turquie : un peuple effacé
Vedat nous conduit à la rencontre du dernier Malakan d’Incesu, un village de quelques centaines d’âmes à quelques minutes au sud-ouest de Porsuklu. Le regard azur sous son chapeau de feutre, Mehmet Ali Eker repousse un grand chien jaune furieux pour nous accueillir près du poêle, sous une vierge en technicolor et un bouquet de blés séchés. Mehmet, qui est musulman – il s’est converti pour se marier, comme Aleks – s’est découvert à 77 ans la passion de ses origines malakans, sous l’oeil narquois de son épouse, Nigar, qui moque cette lubie récente. Il se présente avec fierté comme le dernier éleveur de vaches malakans, des laitières courtes sur pattes et résistantes, parties paître sur les plateaux tout juste déneigés. D’autres les croisent avec des hollandaises pour augmenter leur production, une hérésie selon Mehmet. « Les vraies vaches malakans, je les reconnais au premier coup d’oeil, assure-t-il. Elles marchent bien et longtemps, même sur les pierres. » Les Malakans étaient aussi arrivés avec leurs chevaux, lourds et durs à la peine, capables de tirer des chargements de 200 kilos de grain. « Mais c’est une époque révolue », regrette le paysan. Remplacés par les tracteurs, les chevaux ont vu décliner leur nombre. Le seul que nous ayons croisé, une jument étique, sale et boiteuse, avait mauvaise allure et sa propriétaire, mal à l’aise, s’est empressée de refermer son box.
Alors que le passé tout doucement s’efface, Mehmet s’accroche à son ami Vedat pour en conserver les traces malgré les moqueries de Nigar, petite femme énergique au foulard fleuri, «Turque et musulmane depuis l’empire», précise son mari alors qu’elle apporte un pain chaud et du fromage. Lui aussi d’ailleurs tient à le préciser : « Je suis Malakan et musulman, mais pas Russe. » Dans la boutique Malakan Peyniri (« le fromage des Malakans »), Aleks, le Doukhobor, est « Ali » : son patron ne l’appelle jamais autrement que par son prénom musulman. Avec le temps, l’identité des Malakans et des Doukhobors s’est d’autant plus diluée qu’ils ont été obligés de se marier hors de leur communauté, faute de trouver une compagne sans aucun lien de parenté, explique Vedat en désignant la pierre tombale de sa grand-mère Anna, enterrée avec son époux musulman.
Aujourd’hui, son petit-fils se démène pour racheter les stèles des Malakans, qu’il cherche dans les villages afin d’en conserver la mémoire en les réunissant dans ce cimetière, un champ en pente douce battu par les vents, où s’ébroue dans la lumière du soir un amical étalon noir.
Un musée enrichi par la diaspora
Le grand projet de Vedat Akçayöz est d’installer un musée des Malakans avec les photos, souvenirs et effets personnels que lui adressent les membres de la diaspora : vêtements, petits outils agraires, livres, documents administratifs, dessins d’enfants illustrant la vie des Malakans et des Doukhobors lui arrivent du monde entier – États- Unis Canada, Russie, Australie, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan. On vient de loin pour le consulter, la plupart sont des émigrés de longue date, en quête de racines, désireux de combler les trous de leur récit familial. C’est d’ailleurs à lui qu’on a fait appel quand la star de la téléréalité américaine Kim Kardashian est revenue sur les traces de ses ancêtres, à la recherche de leur village en Arménie voisine. « Une famille de Malakans arméniens », assure Vedat.
Pour son musée, il a déjà identifié la maison où installer ces fragments de mémoire, une longue bâtisse aux fenêtres ourlées de rideaux en dentelles, les chaumes envolés remplacés par des tôles, dans le village de Çakmak, un peu plus au sud. Erdinç Özbey sait que Vedat convoite sa demeure et se dit en riant prêt à la céder si l’offre à la hauteur. À 71 ans, ce robuste paysan à la moustache grise, épaisse et drue, a connu les dernières familles malakans de Çakmak. «Des gens doux aux très nombreux enfants blonds, qui ne jamais cherchaient la bagarre», se rappelle-t-il. Le village comptait encore une trentaine de maisons malakans, tenues par des femmes en fichus et tablier. « Nous, on était des diables, lâche-t-il dans un sourire. On piochait dans leurs potagers mais ils ne ripostaient pas ! » Le souvenir l’amuse encore… « On disait que les Malakans partageaient tout sauf leurs femmes ! » Tous sont partis. Les petits larcins de leurs voisins ont peut-être fini par les lasser… « D’autant que les policiers ignoraient leurs plaintes, signale Mehmet Eker. Ça ne fait qu’une vingtaine d’années qu’on peut se revendiquer Malakan. » Derrière les récits bucoliques se dessine en effet une réalité plus amère : « Mon père cachait l’identité malakan de ma mère comme on cache une tare, confie Vedat. Il lui faisait signe de se taire. Il était soldat et aurait pu être chassé de l’armée et soupçonné d’espionner pour les Russes. »
Des exils successifs
Aucun recensement officiel n’a chiffré l’importance des communautés doukhobors et malakans de Turquie ; la chronique locale n’a enregistré que leurs départs. Entre 1905 et 1922, quelque 2 500 de ces chrétiens quittèrent Kars et la région, direction l’Amérique. Puis, en 1922 et l’année suivante, environ 20 000 Malakans partirent de Turquie vers la Russie (alors plus accueillante pour eux), les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, laissant derrière eux moulins et fromageries. Ils fuyaient l’histoire mouvementée de la Turquie, en plein virage républicain.
Avec les contraintes de plus en plus pressantes du mariage et alors que la communauté fond peu à peu, explique Vedat, une ultime vague de départs s’est formée à l’aube des années 1960 vers la Géorgie, l’ Arménie et la Russie. Les Malakans partaient en cédant leurs biens pour presque rien, s’entassant, parfois en larmes, avec leurs paquetages dans le train qui faisait alors la liaison entre Kars, la Géorgie et l’Arménie : « Un départ douloureux », se souvient Mehmet, qui a assisté, enfant, à celui de ses voisins. En 2008, Vedat Akçayöz a emmené sa mère Sarah retrouver des membres de sa communauté en Russie, près de Stavropol où ils s’étaient installés en 1963. « Ils parlaient encore tous le turc », assure-t-il.
Vestiges et renouveau : la métamorphose d’une ville-frontière
Sur ce territoire aux frontières des grands empires rivaux, russe et ottoman, les populations n’ont cessé de passer d’un côté à l’autre pour échapper à la violence et aux fluctuations politiques. « On a tous ici une généalogie compliquée, tout le monde vient d’ailleurs », confirme Bülent Yildiz. Né en 1973 à Kars, il vient d’une famille de Turcs meskhètes, des musulmans originaires de la Géorgie voisine. « Quand les frontières ont été définies, on n’a pas tenu compte des affinités entre les peuples », remarque-t-il en souriant dans sa boutique de tapis et de kilims du Caucase et d’Anatolie.
Quant à l’importante communauté arménienne, chassée et déportée lors du génocide en 1915, elle a pratiquement disparu, même si ses traces sont encore partout présentes. La cathédrale arménienne de Kars, bâtie au Xe siècle, a changé de confession au gré des occupants – c’est aujourd’hui une mosquée. Et sur les hauts plateaux alentour, des myriades de petites églises rondes au toit conique, caractéristiques de l’architecture médiévale d’Arménie, sont abandonnées aux vents et aux orages, silhouettes fantômes et désolées.
La frontière arménienne si proche (60 kilomètres à vol d’oiseau), que les autorités gardent obstinément fermée malgré les liens historiques entre les deux pays, enferme la région de Kars dans cet extrême-orient turc aux hivers glacés. La ville cherche à rompre son isolement pour retenir sa jeunesse. Une grande université a été créée en 1992, qui accueille près de 20 000 étudiants venus de tout le pays, mais aussi d’Azerbaïdjan et du Turkménistan, des voisins turcophones ; elle se tourne aussi vers le tourisme, avec le lancement d’une version luxe du Dogu Ekspresi, un train qui fend en hiver l’Anatolie enneigée d’Ankara à Kars en une trentaine d’heures.
Un fromage en héritage
Malgré ces efforts, la population se réduit chaque année de quelques milliers d’habitants. Pour les hommes d’affaires et les commerçants, seule la réouverture de la frontière avec l’Arménie pourra endiguer cet exode et redynamiser l’économie. Quand elle s’est entrebâillée en 1991, après le démantèlement de l’URSS et l’indépendance proclamée à Erevan, on s’est précipité de part et d’autre chez son voisin. Un souvenir que chérit Hüseyin Kanik dans sa boutique du centre-ville : « On faisait de bonnes affaires avec eux ! Certains parlaient turc sans accent. Ils arrivaient avec des fourrures, des samovars et repartaient avec du miel et des fromages », rêve encore ce fromager de 66 ans en tranchant ses meules de gravyaer, héritage des Malakans.
Ce fromage à trous, plus proche de l’emmental que du gruyère malgré son nom – fait la fierté de Kars, qui lui a dédié un musée. Pouchkine, dont les vers traduits en turc sont gravés au fronton du café portant son nom, louait « la vitalité, l’audace de la jeunesse et l’ivresse de la taverne » qui l’avaient conduit jusqu’à cette « terre inconnue », où il ne s’attarda guère. Pour la plupart des Doukhobors et des Malakans aussi, Kars ne fut qu’une étape dans une histoire tissée de chagrins et de fuites. Mais les tout derniers d’entre eux s’accrochent à leurs souvenirs d’une Kars, cité des confins, où les cultures coexistaient.
➤ Article paru dans le magazine GEO n°555, « Escapades hors du temps au Japon », de mai 2025.
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