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L’Orient-Le Jour avec AFP, le 01/06/2023
Par Sumru Altug
Des partisans du président turc Recep Tayyip Erdogan célèbrent sa victoire à Istanbul le jour du second tour de l’élection présidentielle, le 28 mai 2023. Umit Turhan Coskun/AFP
Les élections en Turquie ont suscité beaucoup d’attention et de commentaires de la part de la communauté internationale. Dans son éditorial du 8 mai 2023, le Financial Times a parlé d’une « élection déterminante » pour la Turquie. The Economist est allé plus loin en déclarant que « l’opposition pourrait rencontrer un succès contre Erdogan ». Dans un éditorial du Washington Post du 8 mai 2023, Asli Aydintasbas, chercheur invité à la Brookings Institution, a formulé des recommandations politiques pour l’ère post-Erdogan. Une grande partie des pronostics concernant le succès de l’opposition reposait sur l’état de l’économie turque, qui connaissait son taux d’inflation le plus élevé depuis la fin des années 1990, ainsi que sur les dégâts considérables causés par les tremblements de terre dans la province de Hatay et dans dix autres provinces du sud-est de la Turquie.
Facteurs divers
Le 14 mai, le taux de participation de près de 87 % a été l’un des plus élevés de ces dernières décennies. Lors des élections législatives, l’Alliance populaire (ou Cumhur Ittifaki), une coalition dirigée par le Parti de la justice et du développement (AKP), composée du Parti du mouvement nationaliste (MHP) et d’autres partis conservateurs, a obtenu 323 sièges parlementaires sur 600. L’Alliance nationale (ou Millet Ittifaki), composée de 6 partis, dont le Parti républicain du peuple (CHP) de centre gauche et le Parti IYI, un groupe nationaliste de centre droit, ainsi que des partis s’adressant à une base électorale plus restreinte, a obtenu 212 sièges. Face aux procédures judiciaires qui pourraient entraîner la fermeture du Mouvement pour la démocratie des peuples (HDP) en tant que parti politique, un nouveau parti, le Parti de la gauche verte, s’est présenté aux élections et a obtenu 61 sièges au Parlement. Ainsi, la coalition des partis au pouvoir a conservé sa majorité. Dans la course à la présidence, le président sortant Recep Tayyip Erdogan a obtenu 49,52 % du vote populaire, tandis que le leader de l’opposition Kemal Kilicdaroglu a obtenu 44,88 %. Erdogan a remporté le second tour qui s’est déroulé le 28 mai, obtenant environ 52,16 % des voix contre plus de 47,84 % pour son adversaire Kemal Kiliçdaroglu. Certains ont affirmé qu’un taux de participation plus faible dans les villes où l’opposition détenait le pouvoir, ainsi que parmi les électeurs prokurdes, pourrait avoir affecté les résultats du second tour.
Au-delà de cette perspective, l’une des raisons avancées pour expliquer le fait que les commentaires internationaux n’ont pas réussi à anticiper correctement le résultat de ces élections est qu’en ne présentant pas de candidat propre et en soutenant la candidature de Kemal Kiliçdaroglu, les actions du parti prokurde HDP ont pu aider Erdogan à jouer la carte du nationalisme. Un autre facteur expliquant le résultat est que l’opposition a peut-être surestimé les difficultés économiques auxquelles l’électorat est actuellement confronté : malgré l’environnement inflationniste, l’économie turque a connu une croissance de plus de 5 % en 2022. Le contrôle des médias a été cité comme une autre raison de l’emprise continue d’Erdogan et de son parti sur la politique turque. Le gouvernement a également utilisé de nombreux outils fiscaux à sa disposition pour consolider son soutien. Toutefois, la popularité continue d’Erdogan repose également sur le fait que les groupes qui ont le plus bénéficié de son règne sont les populations à faibles revenus et les groupes jusqu’à présent privés de leurs droits. Alors que le PIB par habitant de la Turquie, mesuré en termes de parité de pouvoir d’achat (en dollars internationaux constants de 2017), est passé de 14 839 à 31 467 dollars entre 2002 et 2023, de nombreux programmes d’aide sociale ont également été mis en place au cours des 20 dernières années. Même le programme de construction d’infrastructures a bénéficié à de nombreuses petites villes et régions difficiles d’accès en Anatolie, qui se targuent d’avoir une base électorale conservatrice.
Quelle politique économique ?
Comment la dynamique des choix et des alignements politiques en Turquie évoluera-t-elle à l’avenir ? Ankara continuera-t-elle à suivre la politique monétaire non conventionnelle qu’elle a menée ces dernières années ? Selon ces politiques, des taux d’intérêt plus bas sont censés réduire l’inflation et augmenter les exportations en stimulant la compétitivité des petites entreprises, contribuant ainsi à résoudre l’éternel problème du déficit de la balance courante de la Turquie. Cependant, il est bien établi que l’épisode d’une baisse importante du taux directeur de la banque centrale d’ici à décembre 2021 a entraîné une augmentation des turbulences sur les marchés financiers turcs et une hausse du coût de l’assurance de la dette souveraine de la Turquie. La baisse des taux d’intérêt s’est également accompagnée d’une forte augmentation du coût de la vie en Turquie et d’une détérioration des bilans des entreprises qui empruntent en devises étrangères. Des rapports font état de discussions au sein du parti d’Erdogan entre les groupes favorables à une nouvelle politique de hausse progressive des taux d’intérêt et de prêts ciblés et ceux qui sont favorables au maintien du programme actuel de réduction des taux d’intérêt.
Enfin, quelles leçons l’opposition tirera-t-elle de sa performance aux élections de 2023 ? En conclura-t-elle que le fait d’avoir recueilli près de 50 % du vote populaire était une approbation sans réserve de son programme ou examinera-t-elle des approches alternatives ? Autant de questions qui devraient commencer à trouver des réponses dans les prochains jours.
Sumru ALTUG, Chercheur à l’Institut Issam Fares de l’Université américaine de Beyrouth (AUB).
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