Pour avoir comparé Erdogan à Gollum, un Turc risque quatre ans de prison

Le Monde, le 03.12.2015

Le président turc Recep Tayyip Erdogan lors de la conférence sur le climat à Paris, le 30 novembre dernier.

 

Quatre audiences et toujours pas de verdict. La cour pénale d’Aydin près d’Izmir, dans l’ouest de la Turquie, peine visiblement à trancher dans une affaire d’insulte supposée faite au président Recep Tayyip Erdogan.

 

Dans un montage photo diffusé sur les réseaux sociaux, Bilgin Çiftçi, un scientifique en fonction dans la région d’Aydin, avait osé comparer le président turc à Gollum, personnage ambivalent de la trilogie heroic-fantasy de J.R.R. Tolkien, Le Seigneur des anneaux. Mais le parallèle avec Gollum, surnom de Sméagol après sa transformation monstrueuse sous l’influence de l’anneau unique, est-il vraiment offensant au point d’être condamnable ?

 

Peter Jackson à la rescousse

 

C’est ce que va tenter de déterminer la cour, après avoir chargé une commission d’experts – composée de deux universitaires, de deux experts comportementaux et d’un spécialiste du cinéma – de mieux cerner la personnalité et le parcours de Gollum, rapporte le quotidien national Zaman. Si l’affaire peut paraître risible, le prévenu encourt tout de même jusqu’à quatre ans de prison et a été renvoyé de la fonction publique turque. De son côté, Peter Jackson, le réalisateur qui a adapté la trilogie sur grand écran, est venu à la rescousse de l’accusé sur le site internet de TheWrap :

 

 

« Si ces images sont la cause de ce procès, nous pouvons dire catégoriquement qu’aucune d’entre elles ne représente le personnage nommé Gollum. Toutes ces images représentent le personnage nommé Sméagol. Sméagol est joyeux, c’est un personnage adorable. Sméagol ne ment pas, n’essaye pas de manipuler les autres. Il n’est pas diabolique ou perfide. Ce trait de personnalité est propre à Gollum, qui ne doit pas être confondu avec Sméagol. »

 

Virage autoritaire

 

Cet épisode confirme également le virage autoritaire pris par le régime turc au cours de ces derniers mois et largement pointé du doigt dans le pays. Si l’article 299 du code pénal turc, qui punit tout personne qui porterait « atteinte à l’image » du président sous peine de se voir condamner à une peine pouvant aller d’une à quatre années de prison, date de 1926, rarement autant d’arrestations pour insulte envers le chef d’état n’auront eu lieu en un si court laps de temps.

 

En décembre 2014, l’interpellation d’un adolescent de 17 ans dans sa salle de classe, accusé d’avoir « insulté » le président, avait fait couler beaucoup d’encre en Turquie, de nombreux citoyens pointant les dérives autoritaires du gouvernement. Le jeune homme avait été condamné à 11 mois de prison avec sursis. Le mois suivant, c’est une ex-miss Turquie qui avait été arrêtée pour avoir publié un poème satirique. Et la liste n’a fait que s’allonger depuis : en octobre, un autre lycéen, de 14 ans cette fois, avait été détenu plusieurs heures par la police et déféré devant un tribunal sur le même motif. La loi turque prévoit pourtant qu’un mineur de moins de 15 ans ne peut être poursuivi pour un délit passible de moins de 5 ans d’emprisonnement. Enfin, deux jeunes garçons de 12 et 13 ans encourent une peine de réclusion pour avoir déchiré une affiche sur laquelle apparaissait Recep Tayyip Erdogan.

 

Dans un autre registre, une société de thé glacée s’est vue condamnée en novembre à plus de 70 000 euros d’amende pour avoir « injurié » dans une publicité le yaourt promu « boisson nationale » par Erdogan. Avec l’« affaire Gollum », la Turquie pourrait bien s’avancer plus loin encore sur la voie de l’autoritarisme.

http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2015/12/03/pour-avoir-compare-erdogan-a-gollum-un-turc-risque-quatre-ans-de-prison/

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