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RFI, le 17/01/2023
Texte par : Oriane Verdier
Pinar Selek, sociologue et militante turque réfugiée en France, ici en janvier 2013 à Strasbourg. AFP PHOTO/FREDERICK FLORIN
Voilà 25 ans que Pinar Selek dénonce un acharnement juridique de la part des autorités d’Ankara. La sociologue franco-turque est poursuivie pour avoir organisé un attentat, une explosion que des experts ont pourtant définie comme accidentelle. Elle a appris le 6 janvier dernier qu’elle faisait à nouveau l’objet d’un mandat d’arrêt international.
Entretien.
RFI : Pouvez-vous nous rappeler les grandes étapes de ces 25 années de poursuites judiciaires auxquelles vous faites face ?
Pinar Selek : Je vis en France depuis 2011. J’ai d’abord été réfugiée politique et je suis devenue française en 2017. Ce procès dure depuis 25 ans, j’ai été acquittée à quatre reprises. Tout le monde sait qu’il s’agit d’un procès kafkaïen qui a pour but de criminaliser la chercheuse et militante féministe et antimilitariste que je suis.
Après mon dernier acquittement en 2014, le procureur avait fait une nouvelle fois appel. Cette fois, le dossier a été envoyé à la Cour suprême. En juin dernier, nous avons appris par les médias d’État turc que la Cour suprême avait décidé de me condamner. Finalement, mes avocats ont reçu l’information officiellement : la Cour suprême a annulé l’acquittement et renvoyé mon dossier à la cour d’assise d’Istanbul qui entre temps a changé de juges. Un nouveau procès doit débuter le 31 mars 2023 et je fais aujourd’hui l’objet d’un mandat d’arrêt international qui demande mon emprisonnement immédiat.
La Cour suprême m’a condamné non seulement à la prison à vie, mais une persécution sans fin. Tout le monde sait que c’est une fausse décision qui s’appuie sur de faux arguments et des preuves falsifiées. C’est pour cela que j’ai toujours été acquittée. Ce procès reflète à la fois la continuité du régime autoritaire en Turquie, puisqu’il a commencé avant le gouvernement actuel, mais aussi les configurations des dispositifs répressifs mis en place en amont des élections présidentielles de juin 2023.
Le mot attentat rappelle celui attribué par les autorités turques au PKK en novembre dernier. Le Parti des travailleurs du Kurdistan, lui, a formellement démenti en être l’auteur, mais cette attaque a justifié le début d’une nouvelle offensive aérienne contre les forces kurdes de Syrie. Avez-vous l’impression que votre cas et cette situation font partie d’une seule et même stratégie ?
Oui, bien sûr. Vous savez, quelques jours avant les assassinats des Kurdes à Paris, j’ai écrit sur mon blog de Mediapart que l’année 2023, année d’échéance électorale, allait voir la multiplication d’attentats organisés par les « invisibles ». Le gouvernement turc, en difficulté, adopte la stratégie du chaos et se nourrit des tensions.
Je sais que je ne suis qu’un petit point dans le grand tableau de la résistance. Trois jours après mon article, il y a eu l’attentat de Paris et puis bien sûr, avant, cet attentat fabriqué de toute pièce de la place Taksim en novembre. La plupart des personnes en Turquie qui réfléchissent ont tout de suite compris que le travail avant les élections avait commencé. Je crois que l’on peut s’attendre à d’autres événements de la sorte jusqu’aux élections, peut-être d’autres attentats ou d’autres accusations, d’autres criminalisations. C’est une stratégie du chaos et de la terreur.
En amont de ce rendez-vous historique que constituent des élections, quel regard portez-vous sur votre pays, la Turquie ?
Je répète toujours la fameuse phrase d’Antonio Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté ». Actuellement, le pessimisme de l’intelligence est bien évidemment plus fort, mais il y a une très grande résistance en Turquie. Les prisons sont pleines et on sait que tout le monde peut s’y retrouver un jour, personne n’est intouchable. Mais malgré ce contexte de terreur, beaucoup de personnes se mobilisent. Il y a des manifestations, les gens se déplacent pour les procès.
Dans mon cas, j’ai appris l’annulation de mon acquittement dans les médias turcs, mais ils ont également diffusé ma parole et beaucoup de personnes qui vivent en Turquie se sont exprimées pour me soutenir. Ça montre qu’ils n’ont pas réussi, qu’il y a des faiblesses. Ce sont ces faiblesses qui nous donnent espoir. Maintenant, je pense que les pays européens doivent prendre une position plus claire par rapport à la Turquie, par rapport à toutes ces politiques, ces violations des libertés.
Êtes-vous inquiète par ce mandat d’arrêt international ?
En 2013, alors que je venais d’arriver en France, la Turquie avait déjà fait une demande d’extradition. Ils avaient demandé à Interpol de me mettre sur la liste rouge. Ces demandes avaient été rejetées parce qu’il était clair que ce procès était politique. Je suis très entourée, je travaille à l’université, je suis maîtresse de conférences, j’ai des responsabilités pédagogiques, j’écris des articles et participe à de nombreux groupes de recherche.
Le 31 mars prochain, il y aura une grande délégation européenne pour me représenter à l’ouverture de mon procès à Istanbul, beaucoup de mes compatriotes français en particulier. Depuis que j’ai appris la décision de la Cour suprême, des comités de soutien se sont réunis, je me sens protégée ici en France. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai résisté pour ne pas me soumettre à la domination, face à ce film de science-fiction. J’ai résisté pour continuer à travailler sur mes recherches, à réfléchir profondément. J’ai écrit une petite lettre à mes amis et je leur ai dit : « Je vous le promets, je ne lâcherai rien ».
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