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France 24, le 23/11/2018
Texte par Sébastian SEIBT
Nord Stream 2 et TurkStream, deux ambitieux projets de gazoduc russes, sont au cœur des tensions géopolitiques entre la Russie et les États-Unis. Washington soupçonne le Kremlin de vouloir renforcer la dépendance énergétique des Européens.
Le Danemark joue avec les nerfs de la Russie. Le pays d’Europe du Nord a le pouvoir de débloquer la construction du Nord Stream 2, l’un des projets gaziers les plus stratégiques pour Moscou. Mais Copenhague a décidé, mercredi 21 novembre, de reporter sa décision alors que tous les autres pays impliqués – la Finlande, la Suède, la Russie et l’Allemagne – ont déjà donné leur feu vert à un chantier dont le coût s’élève à plus de 9 milliards d’euros. Ce report devrait empêcher le gazoduc d’atteindre sa destination finale, l’Allemagne, en 2019, comme prévu initialement.
Officiellement, le Danemark, dont la décision était attendue depuis plus d’un an, a justifié sa position attentiste par la nécessité d’évaluer l’impact environnemental de la construction de cet immense tube de plus de 1 200 km, qui doit passer par ses eaux territoriales. Pour essayer d’amadouer les autorités danoises, la Russie a soumis un tracé alternatif, également en attente de validation.
Mais Copenhague se retrouve surtout entre l’enclume américaine et le marteau russe. Si Moscou place beaucoup d’espoir dans ce projet qui devrait lui permettre de consolider sa place de premier fournisseur de gaz à l’Europe (41 % du gaz importé provient déjà de Russie), Donald Trump n’a pas de mots trop durs à l’égard de ce gazoduc. Le président américain avait même qualifié l’Allemagne de “prisonnière de la Russie” pour en avoir soutenu la construction.
La Chancelière Angela Merkel essaie depuis les débuts du projet, en 2015, de ramener Nord Stream 2 à une simple opportunité commerciale pour faire baisser les prix du gaz en augmentant les sources d’approvisionnement. Mais elle est plutôt seule à y croire. La plupart des autres pays européens, comme Washington, pour considèrent que ce gazoduc représente, avant tout, un enjeu géopolitique.
Treize États européens, essentiellement des anciennes nations du bloc soviétique, ont officiellement protesté en juin 2017 contre cette construction auprès de la Commission européenne. Ils estiment que ce projet n’est rien d’autre qu’une arme politique entre les mains du président russe, Vladimir Poutine, pour fragiliser un peu plus Kiev. En effet, le pipeline permettrait à Moscou de rediriger une partie du gaz qui passe actuellement par l’Ukraine vers la mer Baltique, privant ainsi le pays d’une partie des deux milliards d’euros de droits de transit.
Le Danemark n’est pas non plus à l’aise avec l’idée de la présence d’un tube russe aux larges de ses côtes pour des raisons sécuritaires. “L’intervention en Ukraine, l’annexion de la Crimée et les incursions russes dans la région balte ont suscité beaucoup d’inquiétudes au Danemark, préoccupé par la politique agressive de Moscou”, précise au Figaro Trine Villumsen, de l’Institut de sciences politiques à Copenhague. Le pays scandinave craint notamment que Moscou profite de l’occasion pour placer des équipements d’espionnage sous le pipeline.
Dépendance
Les critiques les plus véhémentes viennent de la Maison Blanche. Elles sont, en partie, motivées par la volonté de Donald Trump de défendre les intérêts des producteurs américains de gaz. Les États-Unis sont en train de développer leur secteur du gaz naturel liquéfié et voient d’un mauvais œil la volonté de la Russie d’asseoir son emprise énergétique sur l’Europe, alors que le Vieux Continent pourrait être un débouché lucratif.
En outre, vue de Washington, la Russie est en train de se transformer en pieuvre énergétique qui déploie de plus en plus ses tentacules en Europe. Car ll n’y a pas que Nord Stream 2. Vladimir Poutine, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, ont inauguré, lundi 19 novembre, le premier tronçon du futur gazoduc TurkStream. Cet autre pipeline doit acheminer 31,1 milliards de mètres cubes par an de gaz vers la Turquie à partir de 2019.
Mais une partie du précieux hydrocarbure serait en réalité destinée au marché européen. Le projet prévoit deux tronçons, l’un qui arriverait sur le territoire turc, tandis que l’autre se terminerait quelque part en Europe. Le tracé n’est pas encore définitif et, là encore, Washington s’active pour compliquer autant que possible la tâche à la Russie en faisant pression sur ses alliés européens, raconte le Washington Post. La Maison Blanche craint que l’Europe devienne trop dépendante de Moscou, qui pourrait alors se transformer en maître-chanteur énergétique. Une situation qui fragiliserait, peut-être, la détermination européenne à soutenir les sanctions économiques contre la Russie.
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