La Turquie bascule bel et bien dans l’autocratie. Cinq jours après son interpellation, le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu a été formellement incarcéré pour «corruption» par la justice turque pour et transféré dans l’après-midi de ce dimanche 23 mars à la prison de Silivri, à l’ouest d’Istanbul. L’accusation de «terrorisme» dont il fait l’objet n’a toutefois pas été retenue par la justice, permettant ainsi à sa formation politique, le Parti républicain du peuple (CHP), de conserver sa mainmise sur la mairie d’Istanbul, qu’il continuera de gouverner en nommant un maire pour assurer l’intérim.
Le même jour de son transfert en prison, le CHP a décidé de maintenir la primaire prévue au sein du parti pour désigner son candidat présidentiel. Le parti a appelé tous les citoyens turcs à participer au scrutin et à voter pour l’édile écroué. Il s’agit là d’une élection symbolique et contestataire, tant Ekrem Imamoglu, outre son incarcération, ne peut plus légalement se présenter à une présidentielle depuis l’invalidation de son diplôme universitaire. Dans l’après-midi de dimanche, les bureaux de vote mis en place en Turquie et même à l’étranger par le Parti républicain du peuple ont attiré quinze millions d’électeurs. Une participation telle que le parti avait prolongé les heures de vote jusqu’à 20 h 30 (18 h 30 en France) dans certains endroits clés. Aussi symbolique soit-il, avec plus de 13 millions de voix en faveur de l’édile, selon les résultats communiqués par la ville dimanche soir, ce scrutin devrait introniser Ekrem Imamoglu en leader incontestable de l’opposition au régime de Recep Tayyip Erdogan, l’érigeant ainsi en martyr d’une démocratie turque en péril. A l’issue de l’annonce de son incarcération dimanche après-midi, l’édile a d’ailleurs appelé ses soutiens à poursuivre les rassemblements dans l’ensemble du pays dans un message posté sur le réseau X. Dans la soirée de dimanche, ceux-ci se sont une nouvelle fois rassemblés devant le siège de la municipalité d’Istanbul, comme ailleurs dans le pays.
Plus de 600 arrestations
Face à cette mobilisation inédite depuis le mouvement Gezi de 2013, le gouvernement d’Erdogan durcit la répression. Depuis mercredi, les autorités ont déjà procédé à plus de 600 arrestations liées aux manifestations. Samedi, le ministre de l’Intérieur Ali Yerlikaya a prévenu que «ceux qui cherchent le chaos et la provocation ne seront pas tolérés» et annoncé une prolongation de l’interdiction de manifester – largement bravée ces derniers jours – jusqu’au 27 mars. Dimanche, le Conseil supérieur de la radio et de la télévision (RTÜK) a par ailleurs interdit aux chaînes de télévision de diffuser des images des manifestations. Le gouverneur d’Istanbul a, quant à lui, interdit aux «personnes, groupes ou véhicules susceptibles de participer à des manifestations illégales» d’entrer ou de sortir de la province de la métropole.
Virage autoritaire inédit dans l’histoire récente de la Turquie, l’arrestation d’Ekrem Imamoglu intervient dans un contexte géopolitique favorable au président Erdogan, enhardi par l’autoritarisme naissant des Etats-Unis et les besoins sécuritaires d’une Europe livrée à elle-même face à la Russie. Le régime turc avait déjà procédé à des vagues d’arrestation massives dans les milieux politiques, culturels et médiatiques ces derniers mois.
Neutraliser toute véritable opposition
Le Président a dans le même temps relancé des pourparlers de paix avec le mouvement kurde, aboutissant à un appel de la part du chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Ocalan, à dissoudre l’organisation le 27 février. Processus qui ne serait qu’une manœuvre de la part du président Erdogan visant à coopter le mouvement kurde en vue d’obtenir leur soutien au Parlement et d’amender la Constitution turque pour s’octroyer un nouveau mandat à l’issue de la présidentielle prévue pour 2028. En instiguant l’arrestation d’Ekrem Imamoglu, sans doute la figure politique la plus populaire du pays, le leader turc cherche à neutraliser toute véritable opposition, réduire le Parti républicain du peuple à une opposition de façade. Outre l’incarcération de l’édile stambouliote, le gouvernement turc aspirerait à prendre le contrôle du CHP et y nommer des administrateurs, a révélé le leader du parti, Ozgür Ozel, vendredi 21 mars.
Si le régime d’Erdogan agit de manière de plus en plus audacieuse, l’arrestation d’Ekrem Imamoglu a néanmoins plongé le pays dans la tourmente économique, mettant à mal les efforts entrepris par le ministre des Finances pour endiguer l’inflation et restaurer la confiance des marchés depuis près de deux ans. La Bourse d’Istanbul a connu ces derniers jours sa plus forte chute hebdomadaire depuis 2008. La lire turque a quant à elle dévissé, précipitant des mesures exceptionnelles de la part de Banque centrale turque pour tenter d’enrayer son effondrement. Dans ce contexte, la Banque centrale a également convenu d’une réunion extraordinaire avec ses prêteurs commerciaux dans l’après-midi de dimanche.
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