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Le Monde, le 07/07/2018
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Muharrem Ince, le candidat déçu du parti d’opposition CHP, à Ankara, le 25 juin. BURHAN OZBILICI / AP
La réélection du président a sonné le glas d’une alliance de circonstance.
Les lendemains sont difficiles pour l’opposition au président turc Recep Tayyip Erdogan, sonnée par ses piètres résultats lors du double scrutin – législatif et présidentiel – du 24 juin. Premier constat, l’alliance de circonstance formée par les partis d’opposition – les républicains du CHP, les nationalistes du Bon Parti, les islamistes du Parti de la félicité – afin de battre M. Erdogan dans les urnes, a cessé d’exister. « Cette alliance électorale n’a plus lieu d’être », a déclaré Aytun Çiray, le porte-parole du Bon Parti, qui n’a pas exclu de coopérer au parlement avec le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) actuellement dirigé par M. Erdogan.
L’AKP a obtenu 295 sièges sur les 600 que compte le nouveau Parlement mais son score est en déclin de 7 % par rapport aux législatives de novembre 2015. Ses résultats sont en baisse dans 70 des 81 départements du pays. Soucieux de « corriger les erreurs », le numéro un turc a avancé la date du congrès annuel au 18 août. Il se prépare aux élections municipales prévues pour mars 2019.
Grâce aux 49 sièges remportés par leurs alliés du Parti de l’action nationaliste (MHP, droite ultranationaliste), les islamo-conservateurs gardent la haute main sur le Parlement, devenu une simple chambre d’enregistrement dans le cadre de l’« hyperprésidence » que M. Erdogan s’apprête à endosser pleinement après sa prestation de serment, lundi 9 juillet.
Ce jour marquera l’entrée dans « l’ère Erdogan » qui s’inscrit dans la continuité de « l’ère ottomane » et de « l’ère seldjoukide », selon Ibrahim Karagül, l’éditorialiste du quotidien progouvernemental Yeni Safak. Sorti victorieux de l’élection présidentielle avec 52,59 % des voix, loin devant son rival, Muharrem Ince, le candidat du CHP, M. Erdogan a toute latitude pour institutionnaliser son régime autocratique et poursuivre son projet de « transformation civilisationnelle » du pays.
« Sans voix »
L’opposition ne lui fera pas ombrage. Avec 146 sièges seulement, le CHP reste le principal parti d’opposition mais il est faible et isolé. Le plus vieux parti de Turquie peine à tirer les leçons de sa défaite. Une lutte interne a surgi entre Kemal Kiliçdaroglu, son secrétaire général, et le candidat Ince. Muharrem Ince et ses partisans réclament la tenue d’un congrès extraordinaire afin de prendre la direction du parti, ce que refuse M. Kiliçdaroglu.
Amertume et mécontentement sont palpables chez les militants du CHP, lesquels ne s’expliquent toujours pas l’absence de réaction de la direction du parti au soir des élections. Au moment où les résultats étaient annoncés à la télévision, Semra, une infirmière du quartier de Kadiköy, sur la rive asiatique d’Istanbul, est allée devant le siège du CHP dans l’espoir d’entendre les dirigeants. « Muharrem Ince n’a pas fait de déclaration à l’attention des militants ce soir-là et Kemal Kiliçdaroglu était invisible »,déplore-t-elle.
Semra, son frère ainsi que leur mère âgée de 90 ans ont donné leur voix à Muharrem Ince. Ils croyaient fermement, sinon à la défaite du candidat Erdogan, du moins à la tenue d’un second tour. « Les résultats nous ont laissés sans voix. Mon frère a eu une crise de hoquet si forte que nous avons dû appeler le médecin », raconte l’infirmière.
Une grande partie des opposants à M. Erdogan n’ont pas compris pourquoi, au soir du scrutin, les résultats ont été diffusés à la télévision par l’agence de presse officielle Anadolu. La rapidité avec laquelle Anadolu a publié les résultats ainsi que les scores disproportionnés attribués à M. Erdogan, crédité de 70 % des votes dépouillés dès 18 h 45 alors que les 180 000 bureaux de vote avaient fermé à 17 heures, ont entretenu le doute sur le rôle joué par l’agence.
Les résultats sont surprenants. Ainsi une bonne partie des voix perdues par le CHP sont allées au Bon Parti, son allié de la droite nationaliste aux législatives, désormais présent au Parlement avec 43 députés, ainsi qu’au Parti de la démocratie des peuples (HDP, gauche pro-kurde), qui obtient 67 sièges.
Muharrem Ince souhaitait que le HDP soit représenté au Parlement. Il fallait tout faire pour que le parti pro-kurde, honni par les islamo-conservateurs, franchisse le seuil des 10 % nécessaires pour entrer à l’Assemblée nationale. Sinon, selon le système proportionnel en vigueur pour les législatives, les voix du HDP seraient allées à l’AKP.
Le HDP a donc reçu les faveurs des « Turcs blancs » (laïcs et républicains) des villes. En revanche, ses scores ont baissé dans les régions à majorité kurde du sud-est du pays par rapport à ceux obtenus lors des législatives de 2015. Contre toute attente, le MHP, le parti le plus chauvin de l’échiquier politique turc, a recueilli des voix parmi la population kurde.
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