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The Huffington Poste, 08/05/2016
par Patrick Martin-Genier
Spécialiste des questions politiques, européennes et des collectivités territoriales ; enseigne à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Institut national des langues et civilisations orientales.
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L’Europe a-t-elle cédé à la Turquie en adoptant la position selon laquelle il conviendra, au mois de juin, de décider d’exempter les citoyens turcs de visas lors des séjours en Europe de moins trois mois ?
La question était éminemment politique et difficile. Depuis quelques jours, les sources anonymes mais bien informées de la Commission européenne laissaient passer des messages selon lesquels la commission européenne, dont le collège s’est réuni mercredi 4 mai, allait recommander cette exemption de visas.
Si cette question était sensible, elle le reste et le restera jusqu’à la décision finale de l’Union européenne.
Le jeu solitaire d’Angela Merkel
Il est clair qu’il ne s’agit en aucun cas de stigmatiser le peuple turc.Toutefois, il apparaît clairement que le Premier ministre turc aurait fait un casus belli d’une position qui eut été contraire à ce qu’il avait négocié en quasi-solo, avec Angela Merkel pour réduire le flot des réfugiés et migrants en Europe à travers la route dite « des Balkans ».
C’est encore une fois sous la pression d’Angela Merkel, que l’UE avait adopté un accord de réadmission des migrants dans leurs pays d’origine en forçant l’Europe à adopter un plan de trois milliards dans un premier temps, puis trois milliards supplémentaires, pour réaliser des « camps » de réadmission des migrants non admis à l’asile dans leurs pays d’origine, essentiellement la Syrie d’ailleurs.
Un camp idyllique
Par une formidable opération de communication, Angela Merkel avait rendu visite à des migrants dans un camp situé dans le sud de la Turquie en présence du Premier ministre turc. En regardant de plus près ces images, il était facile de constater que les deux dirigeants étaient entourés d’un nombre de gardes du corps impressionnant d’une part et que, d’autre part, les quelques étrangers autorisés à figurer sur la photo avaient été triés sur le volet. On se serait cru aux temps héroïques des dirigeants communistes soviétiques rendant visite à un camp de jeunes enfants forcés d’applaudir la venue des seigneurs du régime. Cette opération de communication était trop belle pour refléter la situation réelle.
Car, en réalité, on ne sait pas vraiment dans quelles conditions ces migrants sont accueillis et comment ils sont traités. Des informations laissent penser que le traitement ne serait pas aussi idyllique que ce que laissaient supposer les deux dirigeants en visite de vacances d’été dans le camp traversé par les médias du monde entier.
Quoi qu’il en soit, la Turquie avait promis d’abandonner corps et âme l’accord qui avait été négocié si la libéralisation des visas n’intervenait pas comme exigé au mois de juin.
La commission européenne de son côté, faisait valoir que des progrès considérables avaient enfin été réalisés permettant d’envisager la libéralisation des visas pour cette période.
Comme par enchantement, la presque totalité des critères sont satisfaits
Certes, sa position était inconfortable. La Commission n’a pas voulu prendre le risque de détruire l’accord obtenu au mois de mars avec la Turquie. Pourtant, dès cet accord, il était clair que plusieurs dizaines de critères n’étaient pas encore remplis pour que l’Union européenne donne satisfaction à la Turquie sur ce point. Un rapport d’étape, publié le 4 mars faisait état d’un nombre très importants de progrès à réaliser soit : réduire l’arriéré dans le traitement des demandes d’asile, renforcer la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, adopter une législation sur la protection des données à caractère personnel conforme aux normes de l’Union, conclure des accords de coopération avec Europol et Eurojust, définir des mesures globales destinées à faciliter l’inclusion sociale de sa population rom, aligner sa législation relative au terrorisme sur les normes de l’Union et du Conseil de l’Europe, adopter et transposer plusieurs conventions internationales.
Il est clair que toutes les conditions de ne sont pas réunies aujourd’hui sur le plan juridique. La commission a pris une position « sous réserve » laissant le temps à la Turquie d’adopter les législations nécessaires.
Toutefois, dans un pays où la violence fait rage, jusqu’au sein du Parlement où des rixes ont eu lieu avec les députés kurdes, où les magistrats non affidés au régime sont limogés et où la presse d’opposition est muselée, on voit mal comment ce pays pourrait parvenir à adopter une législation conforme en quelques semaines.
La commission laisse donc aux chefs d’état et de gouvernement et au Parlement européen le soin de prendre la décision définitive. La gêne est visible et le chantage turc semble fonctionner à merveille.
De façon pragmatique, certains diront « mieux vaut un mauvais accord que pas d’accord du tout ».
N’oublions pas enfin qu’Angela Merkel sera la grande gagnante dans l’affaire : avec la plus importante communauté turque d’Europe (soit environ 3,4 millions de citoyens), on comprend mieux sa marche en solitaire dans ce dossier.
Mais il serait bon que les décisions se prennent collégialement et que les principes qui sont ceux de l’Union européenne ne soient pas purement et simplement sacrifiés sur l’autel d’un accord à tout prix à la Turquie, même s’il ne faut pas, bien évidemment, insulter l’avenir ni réduire le peuple turc à la dérive autoritariste voire totalitaire de M. Erdogan.
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